Marc Houalla, directeur de l’Ecole nationale d’aviation civile (ENAC), revient sur le recrutement dit " social " de stagiaires pilotes de ligne mis en place pour la rentrée 2012, et évoque la politique d’ouverture de l’Ecole qui tend à diversifier les filières de recrutement.
Marc Houalla, le directeur de l’ENAC, a accepté de faire le point sur cette nouvelle filière de recrutement de stagiaires pilotes de ligne dite "sociale" qui sera opérationnelle dès la rentrée 2012.
Aerobuzz - Pouvez-vous nous rappeler dans quelles circonstances est née l’idée de ce recrutement social et depuis quand vous y travaillez ?
- Marc Houalla - Nous avons commencé à travailler sur ce projet fin 2009, début 2010. Notre motivation initiale était de permettre aux passionnés de l’aviation, qui sont membres des fédérations aéronautiques ou qui sont dans des lycées aéronautiques mais qui n’ont pas eu la capacité ou la chance de faire Math Sup ou Mat Spé, de devenir pilote de ligne. Ce recrutement a pris une orientation sociale lorsque notre ministère de tutelle s’est engagé à ouvrir plus encore les grandes écoles françaises aux jeunes issus de la diversité sociale. L’objectif fixé par le ministre était qu’à terme, 30% des élèves recrutés à l’ENAC soient des boursiers au sens des critères de l’éducation nationale.
Quelle est la proportion de jeunes issus de milieu défavorisé dans la filière Elève pilote de ligne (EPL) de l’ENAC ?
- Elle oscille en fonction des années entre 10% et 25% de boursiers.
Dans ces conditions, pourquoi avoir voulu ouvrir le recrutement et provoquer les réactions d’hostilité qui se manifestent aujourd’hui ?
- En fait, il s’agit pour nous de rompre avec l’image élitiste de l’ENAC, notamment nous voulons accréditer l’idée qu’il n’est pas obligatoire d’avoir fait une classe préparatoire pour devenir pilote de ligne, même si par ailleurs nous sommes toujours très satisfaits des résultats obtenus par nos jeunes recrutés après les classes préparatoires. Aujourd’hui pour devenir ingénieur, les jeunes peuvent évidemment passer par Math Sup et Math Spé, mais ils peuvent aussi opter pour une « prépa intégrée » et même par l’apprentissage. Nous voulons nous rapprocher de ce modèle.
Autrement dit, pas besoin d’être une tête en math pour devenir pilote de ligne…
- Nous formons des pilotes de ligne pour le compte de compagnies étrangères. Ils n’ont pas le niveau Math Sup alors que les résultats qu’ils obtiennent aux examens européens sont très bons, voire dans certains cas excellents. Par ailleurs, depuis des années, nous recrutons annuellement dans la filière EPL des « Bac + 2 » titulaires de l’ATPL théorique, c’est-à-dire le brevet théorique de pilote de ligne, ou d’autres jeunes, au niveau BAC titulaire d’un CPL IRME, donc d’une licence de pilote professionnel avec une qualification IFR multi-moteurs et pour lesquels nous n’avons aucun problème de formation.
A qui s’adresse ce nouveau recrutement que vous mettez en place en 2012 ?
- Il s’adresse à des jeunes de 16 à 21 ans qui sont soit scolarisés dans un lycée aéronautique, soit membres de la FFA, de la FFVV ou de la FFPLUM, soit titulaire du BIA. Nous visons ouvertement un public de passionnés. Ils doivent avoir le bac ou être en passe de l’acquérir. Nous n’attachons pas d’importance au type de bac. Ils doivent être boursiers.
Comment évaluer l’implication d’un jeune dans des activités aéronautiques ?
- Nous demandons aux candidats de nous adresser un dossier de motivation dans lequel ils expliquent leur implication dans le monde aéronautique. Ce dossier peut-être accompagné de lettres de recommandations d’un chef-pilote, d’un président de club, d’un professeur. Nous avons renoncé à l’idée de départ qui aurait consisté à demander aux fédérations de nous soumettre des candidatures.
A propos du caractère boursier, on vous reproche d’avoir faire entrer un critère de sélection trop restrictif en avançant l’argument selon lequel, la famille qui peut prétendre à des bourses d’éducation, n’a pas les moyens financier d’offrir la possibilité à ses enfants de pratiquer l’aviation. Pourquoi ce critère ?
- Nous nous sommes posés la question de la fixation de critères objectifs et plutôt que d’en créer un à nous pour les besoins de ce recrutement, qui de toute façon aurait posé la question de l’établissement de ce critère, nous avons préféré en retenir un qui existe et qui est reconnu par tous. En fait, nous ciblons des jeunes dont les revenus familiaux permettaient difficilement de prétendre à un emprunt pour financer leur formation de pilote dans une école privée. Le recours à un critère éducation nationale s’imposait d’autant plus à nous que le rectorat de Toulouse est partenaire de ce programme en mettant en place les professeurs et les contenus des cours du cycle préparatoire.
Avez-vous une idée du nombre de garçons et de filles susceptibles d’être intéressés ?
- Nous n’en avons aucune idée. Nous espérons pouvoir retenir 600 dossiers qui passeront les épreuves scientifiques de façon à avoir environ 150 candidats après ces épreuves. Ces 150 personnes passeront les épreuves psychotechniques et psychologiques pour au bout du compte obtenir 15 candidats retenus en cycle préparatoire et 5 candidats seulement qui suivront le cursus final de formation de pilote de ligne. Comme on peut le constater, c’est un ratio sélectif par rapport à nos autres filières de recrutement. Pour les EPL issus de Math Sup, nous sommes environ à 40 pour 1.600 alors pour les EPL issus de la sélection avec un Bac + 2 et un ATPL théorique, nous sommes sur une base de 4 EPL pour environ 40 candidats.
Dans un premier temps, ces 15 sélectionnés vont suivre pendant dix mois une mise à niveau pour leur permettre de suivre ensuite le cursus de formation. Cinq seront retenus. Que deviennent-ils ensuite ?
- Pendant dix mois, les 15 sélectionnés vont effectivement suivre des cours de mathématiques, de physique et d’anglais. Le rectorat de Toulouse met à notre disposition des enseignants très motivés par ce cycle de remise à niveau. Mais il ne s’agit nullement de viser le niveau math sup, math spé. A l’issue de cette mise à niveau, cinq candidats seront retenus pour suivre la formation de pilote et suivront les cours théoriques de l’ATPL avec les EPL, comme le font d’ailleurs les candidats titulaires d’une licence de pilote professionnel que nous recrutons au niveau du bac. La formation théorique ATPL dure six mois. Ensuite, ils passeront à la formation pratique. Il est évident que ces jeunes n’auront pas la capacité de travail d’un élève qui sort de « prépa », mais cela n’en fera pas pour autant des pilotes au rabais…
Que répondez-vous à vos détracteurs qui affirment que vous créez une distorsion dans le recrutement en offrant la possibilité à des candidats d’être intégrés sans passer par les redoutables classes préparatoires ?
- Il s’agit de deux formations différentes pour un niveau de sortie qui permette dans les deux cas de devenir pilote de ligne. De plus cette formation ne se substitue pas à la formation EPL après Math Sup qui demeure et elle ne cannibalise pas le nombre de places au concours. Enfin, il ne faut pas oublier que des voies de contournement existent déjà (BAC + 2 avec ATPL théorique, Bac + CPL IRME) avec un taux de sélectivité bien en deçà du concours après Math Sup ou de cette nouvelle voie de recrutement.
Au cours des dernières années, combien d’élèves avez-vous sélectionnés chaque année, pour combien de candidats au concours ?
- Si l’on examine le nombre de nos recrutements sur les dix dernières années, nous avons recruté en moyenne autour de 40 à 50 EPL pour environ 1.600 à 2.000 candidats au concours. C’est le niveau que nous nous sommes fixés pour le futur.
Autrefois, les élèves pilotes de ligne qui entraient à l’ENAC avaient une place assurée à Air France. Aujourd’hui, du fait de la situation d’Air France, il n’en est plus de même. Que deviennent les EPL à leur sortie de l’ENAC ?
- Air France ne recrute plus pour l’instant. Les compagnies régionales hésitent à embaucher des EPL en pensant que dès qu’Air France recommencera à recruter, ils les quitteront pour rejoindre cette compagnie. Beaucoup travaillent comme instructeurs en aéro-club à la sortie de l’école, ou dans le domaine du travail aérien. L’ENAC en a recruté certains comme instructeurs vol et sol et nous nous engageons, vis-à-vis de tous, à les aider à maintenir leurs compétences pendant deux ans.
Avant les EPL ne raisonnaient qu’Air France comme les ingénieurs qui privilégient d’intégrer EADS ou Airbus. Aujourd’hui, ils sont prêts à intégrer n’importe laquelle des compagnies aériennes. Nous en avons chez EasyJet, Ryanair, Luthansa Italia, etc. Lufthansa Italia et Lufhthansa en ont recruté 6 et sont très satisfaits, mais Lufthansa conditionne son recrutement à un certain niveau d’allemand que tous nos EPL ne possèdent pas. Actuellement, un pourcentage important de nos EPL, en attente d’intégrer une compagnie aérienne, travaillent dans le milieu aéronautique.
Quel est le prix de revient d’une formation de pilote de ligne à l’ENAC ?
- Une formation EPL qui dure 24 mois revient à 110.000 euros. Elle est évidemment gratuite pour l’élève. C’est plus que ce que payent les stagiaires dans le secteur privé, mais nous avons à notre programme EPL plus d’heures de vol et de simulateur que pour un ATPL classique et la formation au travail en équipage, la MCC, est faite sur Airbus A320.
Propos recueillis par Gil Roy
http://www.aerobuzz.fr/spip.php?article2312
Voila qui apporte pas mal de précisions. Et qui laisse entendre que le fait d'etre lycéen n'est pas une obligation, la filiere devrait etre ouverte aux éleves en études supérieures.
Soit dit en passant, "mais nous avons à notre programme EPL plus d’heures de vol et de simulateur que pour un ATPL classique" ceci est faux. On sort avec plus d'heures de vol a l'issue d'une formation ATPL modulaire (celle que suit une majorité de personnes), soit environ 220h de vol, qu'a l'issue de l'Enac (150h de vol).