Si je m'en cantonne aux aspects négatifs du métier pour un pilote de 737.
Liste non exhaustive :
- Enorme pression. Et le mot est faible. Tu te plantes de bouton parmi les 300 ou 400 switchs et CBs que comporte l'avion, et potentiellement c'est 200 morts. Un exemple, sur 737 les deux interrupteurs d'anti-ice des moteurs sont juste au-dessus des sélecteurs des B-pumps, le circuit hydraulique de l'avion qui permet de le piloter. Si on coupe les B-pumps, on perd totalement le controle de l'avion. ... potentiellement.
- Pression temporelle tres présente. On a des "slots", des créneaux pour décoller. Ces slots durent 15 minutes. Avant ou apres, impossibilité de décoller.
Quand on récupere un avion qui a volé avec un autre équipage le matin meme, et que l'avion est arrivé en retard, il faut faire ce qui nous prend normalement 40 minutes (préparation de l'avion) en 10 minutes par exemple. Mais la moindre faute et dans le meilleur des cas on perd notre licence, dans le pire des cas c'est 200 morts.
- Impossibilité de plannifier sa vie. A mon stade par exemple, on me prévient quelques jours en avance seulement de l'endroit d'ou j'opere l'avion. J'ai appris aujourd'hui que je serai basé a Londres en début de semaine par exemple. A moi de m'organiser pour tout planifier, entre autre le logement.
- Travail en équipage et "gradient" dans le cockpit. Personnellement, c'est l'un des plus gros aspects négatifs, et ca touche essentiellement l'aviation de ligne (d'apres ce que me racontent ceux qui sont passés par l'aviation d'affaire auparavant). Le Copilote et le Commandant de bord font le meme métier. Tous les deux pilotes l'avion, tous les deux tour a tour décollent et posent l'avion. Etc ... , mais s'il y a un doute, ou une situation "anormale", c'est le Commandant qui a le dernier mot. C'est le chef de l'avion, le chef des équipages (hotesses et pilotes). En général, s'il y a des décisions a faire, c'est sa responsabilité qui est en jeu. Et pour cause, il est beaucoup plus expérimenté.
Le coté qui ne me plait pas trop, et qui varie énormément d'un Commandant a un autre, c'est que l'ambiance dans le cockpit dépend uniquement de l'humeur du Commandant. Certaines journées, on passe 11h assis a coté de la meme personne, dans un cockpit qui reste relativement étroit. 11h a coté d'une personne a l'humeur exécrable, ca parrait vraiment long. Certains discutent, certains passent le vol entier a raler, d'autres encore ne décrochent pas un mot et installent une ambiance tres tres froide. On se sent vraiment mal a l'aise.
De plus, on a beau avoir des procédures tres strictes, pour toute action durant tout le vol, certains Captains ont leur propre méthode bien a eux, et si on n'applique pas leurs méthodes, on se fait pourrir (pour dire les choses comme elles sont).
- Horaires décallées. Olivier (LJ35) est sans doute bien plus concerné que moi. De mon coté, mes horaires sont quand meme stables, mais en nombre d'heures je travaille énormément.
Mon record s'établit a 50h en fonction, sur une semaine (on est loin des 35h...). Cette semaine la, comme une semaine sur deux, je l'ai passée a me lever entre 2h30 et 3h30 du matin tous les matins.
On alterne entre vols du matins et vols du soir, une semaine sur deux. Le matin, en général on décolle entre 6h et 6h30. On est dans l'avion 45 min avant le décollage, et on passe 1h a 1h30 en salle de briefing avant. Il faut ajouter le temps a passer au controle a l'aéroport, les déplacements, etc ...
On rentre a la maison entre 13h et 17h environ. Apres avoir commencé la journée de travail a 4h du matin, ca commence a faire long.
Les vols du soir, on décolle entre 13h et 17h. Comptez 2h a 2h30 de travail en fonction avant le départ du vol. Le soir, on rentre en général vers 22-24h. Parfois, on rentre a 2 ou 3h du matin si on a du se dérouter, et ca arrive régulierement en hiver ou le brouillard s'établit sur toute l'Europe continentale chaque nuit. Le lendemain, et ainsi de suite.
Restent les jours de standby. Le standby, pour moi du moins, consiste a réserver un hotel au pied de l'aéroport, a me tenir pret a aller voler, pour environ 95% de chances de ne pas etre appelé. Le standby dure 12h. Quand on est en standby a partir de 5h du matin, on dort sur une partie de la journée de standby. Mais quand le standby est en plein milieu de la journée, il n'y a pas grand chose a faire si ce n'est attendre patiemment que le temps passe.
En hiver, une semaine type, c'est 4 jours de standby, et un jour de vol dont la journée dure 14h. En été, quasiment aucun standby, mais l'été ne dure que 3-4 mois.
- Le commuting. Ca concerne la plupart des compagnies britaniques/irlandaises, du type Ryanair, Jet2, easyJet UK, BMI, BMI baby, etc ... (a savoir les rares compagnies qui embauchent, donc potentiellement celles dans lesquelles vous avez des chances d'atterrir).
Le commuting, c'est le fait de rentrer chez vous, apres une semaine de travail dans une base. La base, c'est l'aéroport duquel vous décollez chaque jour, et dans lequel vous rentrez chaque soir.
Pour mon cas personnel par exemple, en général je travaille 5 jours, suivis de 4 jours de repos (parfois 3, et parfois 2). Si j'ai 4 jours de repos, le premier est passé a voyager pour rentrer chez moi. Et le dernier est passé a revenir a ma base. Les vols sont gratuits sur tout le réseau, il est évident qu'on en profite plutot que de payer 300€ le vol avec une autre compagnie en espérant avoir un vol direct. On connait ces jours de repos au dernier moment, donc les billets d'avion sont généralement hors de prix.
Par exemple, j'ai fait Bordeaux - Francfort la semaine derniere, je suis parti a 9h de Bordeaux pour aller a Seville (Sud de l'Espagne), j'ai attendu 5h a Seville apres quoi je suis allé a Santiago (Nord-Ouest de l'Espagne), 2h30 d'attente a Santiago pour prendre le vol sur Francfort le soir. Levé a 6h, arrivé dans ma chambre d'hotel a 23h. Ca, c'est une journée de "repos". Le lendemain matin, j'étais debout a 4h pour commencer ma journée de travail.
- Certains vols sont un pur régal, d'autres nous font regretter d'avoir fait ce métier. C'est rare mais il y en a.
En général, la combinaison parfaite de la "mauvaise journée" arrive tout a la fois.
Captain de mauvaise humeur et réputé pour etre peu sympathique. Météo a destination mauvaise, et avion non certifié pour faire des atterrissages CAT III (météo tres mauvaise), donc on sait qu'on va sans doute devoir se dérouter. Les vents sont peu favorables en vol et bien différents des prévisions, on consomme beaucoup plus que prévu, et meme si on prend une tres grosse marge de fuel, on est tenu de ne pas utiliser les "reserves" et de devoir se dérouter avant. La pression a ce moment la est immense car il faut tout plannifier d'un coup. Le déroutement, vérifier toutes les météos, plannifier l'approche sur un terrain inconnu, prévenir les opérations de la compagnie, prévenir les passagers et les hotesses, organiser des moyens de transport (depuis le cockpit ...), charge de travail immense. Et a ce moment la, il faut imaginer un Captain qui gueule dans tous les sens ...
- Dans un avion de ligne comme le 737, il y a a mon gout bien trop d'électronique. Et encore, ce n'est pas un Airbus, et les premiers 737 ont plus de 50 ans (la plupart des systemes n'ont jamais changé en 50 ans, ouf!).
Nombreux Commandant de bord sont adeptes de l'utilisation au maximum de tous ces automatismes. C'est précis, fiable et moins fatiguant. Pourquoi diable piloter en manuel?
Il n'y a pas que le pilote automatique. On a les manettes de poussée automatiques, le freinage automatique, les auto-speedbrakes, la gestion de la descente (du profil de descente) par le FMC de l'avion, bref tout est automatisé.
L'avion peut tout a fait atterrir sans la moindre action des pilotes. Ces atterrissages la, dit d'autoland, j'en fais en moyenne une fois tous les deux jours. On en fait des que la base des nuages est inférieure a 200ft, et ca arrive tres souvent sur de nombreux aéroports en Europe. Alors on regarde l'avion se poser tout seul. Honnetement, c'est tres frustrant.
Piloter en manuel, certains Captains nous encouragent, d'autres nous demandent d'en faire le minimum.
Evidemment, le pilotage manuel, c'est la plus grande source de satisfaction de ce métier.
Sur certains vols, on pilote 30 secondes apres le décollage, et 1 minute a l'atterrissage, sur un vol de 5h. Le vol de retour, c'est le Captain qui est aux commandes. Au final, ca fait 1min30 de pilotage sur 10h de vol.
A l'inverse, d'autres vols (en particulier ceux internes a un pays, du type Barcelone - Palma de Mallorca) se font entierement en manuel, du décollage a l'atterrissage. Mais je n'ai encore jamais eu la chance d'en faire.
Le maximum que j'ai pu faire, c'était 5 ou 6 minutes de pilotage manuel a l'arrivée. C'est court mais tres intense! Un bonheur sans comparaison.
- On vit dans un environnement relativement malsain. Nourriture de mauvaise qualité, aucune horaire pour manger, on boit du café a longueur de journée, on reste assis sur un siege sans en bouger pendant plus de 10h par jour, l'humidité en croisiere est de l'ordre de 3%, c'est considéré comme "anti-hygiénique et malsain", on est exposé aux radiations et rayons du soleil a longueur de journée, certains scientifiques avancent que notre espérance de vie est diminuée de plusieurs années, etc ...
Il m'est arrivé de me poser sur un aéroport ou il faisait 27°, et aller quelques heures plus tard sur le tarmac d'un terrain ou il faisait -28°. Dans la meme journée ...
- On passe notre vie entiere a etre sur la sellette et a etre testé.
On est bien entendu testé a maintes reprises pendant la formation, pendant la qualification sur l'avion, mais aussi en ligne.
J'ai eu mon test de qualification en décembre. En janvier, j'ai eu mon test pratique sur l'avion. Ce mois-ci, j'ai le test pour etre "safety release", au début on vole a 3 pilotes (un 2eme copilote observe depuis le jumpseat pour vérifier toutes mes actions), ensuite le 2nd copilote n'a plus lieu d'etre mais il y a un test. Au 60eme vol, test a nouveau. Deux semaines plus tard, le "controle en ligne". Ce controle en ligne, on le refait 3 mois plus tard, et ensuite tous les 6 mois.
On a le droit de le rater une fois. A la seconde fois, on perd notre métier et probablement la carriere entiere s'arrete la. Tous les 6 mois on retient son souffle.
Tous les 6 mois aussi, on refait entierement le test de fin de qualif, qui dure 4h + 5h dans un simulateur. Soit dit en passant, ce test se fait sur les jours de repos.
Tous les ans, on refait la formation et les tests pour montrer qu'on sait éteindre un feu, qu'on connait tous les équipements de survie dans l'avion et qu'on sait s'en servir, etc ...
A ca s'ajoutent les tests surprises par la DGAC du pays dans lequel on se trouve.
Bref, ca en fait, des tests. A chaque test, notre carriere est remise en jeu. Si on rate un test, on peut perdre le droit d'exercer ce métier, a vie. Et ca arrive, régulierement.
- Vie de famille, pas toujours évident a concillier.
Personnellement, je peux faire des demandes pour etre basé sur tel ou tel aéroport. Mais ces demandes ne sont acceptées que s'il y a une place libre dans la base en question, et si personne sur la liste de séniorité attend elle aussi un transfert. En d'autres termes, je peux demander le Sud de l'Espagne et etre envoyé en Lithuanie a coté de la Russie.
Quand on est jeune, on se dit "mobile et pret a tout". Apres, on commence a s'engager dans une relation sérieuse, et on se rend compte que meme si on est "pret a tout", on risque de gacher une belle aventure de couple pour son métier, a se retrouver isolé a l'autre bout de l'Europe, voir l'autre bout du monde. (j'ai 3 copains partis en Indonésie pour trouver du boulot par exemple, et 2 autres en Afrique).
La liste est encore longue.
Alors pourquoi diable faire un tel métier?
Tout simplement car les avantages surpassent toute cette liste d'inconvénients.
Le salaire peut etre potentiellement bon voir tres bon (et tres faible dans d'autres compagnies).
La possibilité de vivre dans de chouettes endroits est assez appréciable. C'est au libre choix du hasard et des besoins de la compagnie cela-dit. Personnellement, je reverais d'aller du coté de Valencia, Palma de Mallorca, et en ce moment il y a beaucoup de places pour ces bases.
Avec un peu d'expérience, le métier est relativement "cool" si j'ose dire. Toute la phase de préparation au sol, la préparation dans l'avion avant de démarrer les moteurs, le décollage, la descente, l'atterrissage, et la phase post-vol sont tres "chargées". Mais la croisiere (qui dure 4h sur certains vols) est tres calme a l'inverse. On a amplement le temps de discuter, lire, écrire, admirer la vue, faire ce que bon nous semble.
La vue elle, ne décoit jamais. Chaque jour, ce sont de nouveaux paysages, une nouvelle lueur, c'est inégalé et a mon sens, la vue a elle-seule compense bien des inconvénients.
Le coté voyage qu'on retrouve dans certaines compagnies est vraiment bien.
Personnellement, une fois toutes les 5-6 semaines je vais etre envoyé une semaine dans une des 50 bases de la compagnie. On me laisse 5 jours de repos avant et apres ma période de travail. En clair, 10 jours de tourisme pour 5 jours de travail. Tous les frais sont pris en charge par la compagnie et mon salaire augmente meme.
Des que je "commute" et que j'ai quelques heures a attendre dans un aéroport, je prends un bus (gratuit avec la carte de staff) pour la ville et je visite.
Au programme pour les semaines a venir : Rome, Madrid, Londres, Valencia (ou une autre ville en Espagne), Seville,... Ca ne me coute pas un centime ...
Avec le carte de staff, n'importe quel hotel en Europe me coute 2 a 3 fois moins cher que le prix de base. J'ai testé les hotels luxieux avec les "business room/suite" pour le prix d'un lit dans une auberge de jeunesse ...
Le plaisir de voler, de piloter l'avion, aussi court soit-il, est immense. D'une maniere générale, plus la météo est mauvaise et plus on s'applique a bien voler. Le plaisir a l'issue d'un vol difficile est sans commune comparaison. On en garde un large sourire sur les levres pendant plusieurs jours ...
Une fois qu'on a mis le pied a l'étrier, en particulier sur avion a réaction, les possibilités d'évolution s'ouvrent assez rapidement. Possibilité d'aller un peu partout dans le monde et voir de nouveaux horizons.
En une phrase, pour résumer tout ce long roman ci-dessus :
Les inconvénients sont tres lourds et bien plus pesants que ce qu'on peut penser, mais les avantages sont eux encore bien au-dela des espoirs les plus fous qu'on peut avoir. Au fur et a mesure, certains inconvénients s'effacent (le salaire augmente, la vie devient plus stable, le stress diminue avec l'expérience, on finit par devenir Captain et il n'y a plus de soucis de mauvaise ambiance dans le cockpit, ...).
Les avantages eux, normalement, restent.
Pour ma part, c'est sans regret. Le jeu en vaut la chandelle, mais ce métier ne plait pas a tout le monde.
Je connais au moins deux personnes sur 737 et un sur turboprop qui ont completement lachés l'aviation pour se reconvertir dans une carriere au sol.
C'est ma vision des choses, en temps que jeune copilote sur 737.
Il y aura probablement autant d'avis que de pilotes.