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Turbulences autour de l'exportation du Rafale (actualisé)
Près d'un quart de siècle après le premier vol du démonstrateur Rafale A, le 4 juillet 1986, l'avion de combat français Rafale n'a toujours pas trouvé preneur à l'exportation. C'est une mauvaise nouvelle pour le pays. Les négocations en cours, essentiellement avec les Emirats arabes unis et le Brésil, patinent. Un échec sur ces marchés, pourtant donnés comme acquis par la communication un peu débridée de Nicolas Sarkozy, aurait des conséquences dévastratrices.
[Ce lundi, le site internet de l'Usine nouvelle annonce l'interruption des négociations avec les Emirats arabes unis]
Etat des lieux :
Les Emirats. Ils envisagent d'acquérir 60 appareils et les discussions se déroulaient bien jusqu'au début de l'été. Elles se poursuivent aujourd'hui, mais dans un climat dégradé. Ce n'est pas bon signe. Les acteurs sont très nerveux. Deux épisodes, impliquant la presse, témoignent des surréactions des parties en présence. Le 26 juin dernier, Georges Malbrunot, excellent connaisseur du Moyen-Orient publie un article dans Le Figaro, dans lequel il explique que les Emirats font appel à des sociétés israéliennes pour assurer la sécurité du pays. Dans le monde musulman, la collaboration avec Israël fait figure de crime de lèse-majesté. Les Emiratis grognent, d'autant que l'article parait dans le Figaro, propriété de Serge Dassault et que ces gentlemen n'ont guère l'idée de ce que peut être une rédaction indépendante. Nouvel épisode, en aout : le magazine DSI publie un entretien avec le général Alain Silvy, sous-chef plans-programmes à l'état-major de l'armée de l'air. Il évoque un coût de "plusieurs centaines de millions d'euros à la charge de l'Etat français" dans le seul but de développer l'avion que les Emiratis exigent et les met devant leurs responsabilités : leur "désir de communauté" avec les Rafale français n'est pas compatible avec "leurs exigences en matière de performance"... Ce Hors-Série de DSI, conçu spécialement à l'occasion de l'Université d'été de la défense, n'y sera pas distribué gracieusement aux participants, à la demande de quelques industriels. On le voit, les nerfs sont à vifs.
Il y a de quoi. Les Emiratis exigent un avion plus performant que ceux en service dans l'armée de l'air. Un peu comme ils l'avaient fait avec le Mirage 2000-9. Mais ils ne veulent pas payer le developpement du moteur ou du radar, arguant du fait que servir de "première référence à l'export" doit se payer par une ristourne des Français. Ils exigent également la reprise de leurs Mirage 2000-9, dont personne ne sait que faire et quelques arragement supplémentaires, comme la mise à disposition du GIGN... De bons connaisseurs du dossier s'interrogent : veulent-ils vraiment l'avion ? DefenceNews révélait la semaine dernière que les Emirats avaient approché Boeing pour leur parler du F-18... une manoeuvre qui pourrait masquer leur intérêt pour le F-22, le meilleur intercepteur du monde, que les Américains refusent pour l'instant d'exporter. En attendant, les Français continuent d'installer une base permanente aux Emirats, pour protéger le pays, en devant passer sous les fourches caudines du droit islamique.
Le Brésil. Les élections ont lieu ce weekend et le contrat promis par Lula, en septembre 2009, n'est toujours pas signé. Il pourrait le faire avant la prise de fonction de son successeur, Dilma Roussef, à la fin de l'année. C'est la version optimiste, sachant que les militaires brésiliens ne veulent pas du Rafale et préfereraient du Gripen suédois. Quelle que soit l'issue, le contrat sera-t-il, juridiquement et politiquement, sécurisé ? Un bon spécialiste de l'Amérique latine de retour du Brésil en doute : "La promesse de Lula est une promesse à la brésilienne... Tout peut changer. Il a dit cela à Sarkozy parce qu'il voulait le soutien de la France pour le poste de secrétaire général des Nations Unies, mais il n'en veut désormais plus..."
La Libye, la Suisse, la Grèce, le Koweit... On se souvient de la visite du colonel Khadafi, plantant sa tente à Paris, fin 2007. L'Elysée se disait "très confiant" dans la signature "avant l'été" d'un contrat d'une quinzaine d'appareils. Depuis, plus rien ! Quant à la Suisse, le Conseil fédéral a décidé de repousser une nouvelle fois sa décision, un report qui "durera au plus jusqu'en 2015". La Grèce a d'autres soucis en tête et plus un centime en poche. Quant au Koweit, où des prospects sérieux existent, ce pays malgré une chasse gardée américaine, malgré la signature d'un accord de défense entre nos deux pays. Ces difficultés interviennent après des échecs cuisants, notamment celui au Maroc. Il intervenait après Singapour, la Corée du Sud, les Pays-Bas ou la Norvège.
Se réjouir de ces échecs au nom d'un anti-Dassaultisme primaire est ridicule. Certes, le mélange des genres entre industrie de pointe, presse (Le Figaro, demain le Parisien ?) et politique (UMP, Corbeil...) n'améliore pas le climat. Mais le Rafale dépasse largement la question de Serge Dassault. Cet avion est ce que l'industrie aéronautique sait faire de mieux en France : Dassault, Thalès, Snecma, Sagem, MBDA et des dizaines de sous-traitants. L'échec du programme à l'export pourrait - sauf volontarisme politique de type gaullien - sonner le glas de la capacité française, voire européenne, de développer des avions de combat. Ne resterait alors que le choix d'acheter américain, avec les contraintes politiques et financières inhérentes.