Les pertes totales de contact radio avec les organismes de la circulation aérienne sont fort heureusement des événements peu fréquents mais compte tenu de la densité de trafic dans certains espaces aériens, ce genre d' incident peut avoir de graves conséquences.
Voici deux événements relatifs à des pannes totales de communication radio qui fort heureusement se sont bien terminés mais qui peuvent apporter des enseignements en matière de gestion de ce type de situation.
Le premier événement concerne un vol moyen courrier effectué en B737 à destination d' Amsterdam. La perte des moyens de communication intervient en croisière au niveau de vol 220 lors du transfert du centre ATC[1] de Bruxelles vers celui d' Amsterdam. Le bouton poussoir d' alternat radio du manche CDB (switch "MIC" du manche CDB) reste bloqué en position enfoncée avec un retour d' émission dans tous les casques et haut-parleurs ce qui laisse supposer à l' équipage une émission permanente en interphone.
Après désactivation de l' émetteur-récepteur VHF1[2], des essais infructueux de contact radio sont effectués à l' aide des VHF 2 et 3. Le code 7600 est affiché au transpondeur et les messages sont émis en aveugle (blind transmission).
Le vol est poursuivi jusqu' à Amsterdam. L' équipage n' ayant pas reçu préalablement à la panne de HAP[3] de la part du contrôle aérien, calcule son heure d' arrivée prévue, puis se met en attente à la vertical du VOR[4] "SPL" (environ 20 min) pour respecter l' heure estimée d' approche basée sur le plan de vol ATC et ce conformément à la procédure générale (cf.: NOTA)[i] et aux instructions figurant dans la fiche d' aérodrome d' Amsterdam. L' approche est poursuivie sur le QFU[5] 06 conformément à la procédure, avec les dernières informations d' approche dont disposait l' équipage. Il se trouve que l' ATIS[6] et l' information relative à la piste en service avaient été reçus quelques minutes avant la panne radio.
L' atterrissage est effectué sans problème, l' avion est accueilli après l' atterrissage par un véhicule de piste qui le conduit à son point de stationnement. L' équipage a géré l' événement sans difficulté particulière. Le TCAS[7] et les conditions météorologiques favorables permettaient une bonne visualisation d' éventuels trafics.
Il est à noter que la Réglementation de la Circulation Aérienne (RCA 3) impose en cas d' interruption des communication air-sol (§ 3.9.2.1) : " Pour indiquer qu' il est en panne de radio communication, un aéronef doté d' un transpondeur SSR doit utiliser son transpondeur sur le groupe A, groupe code 7600". Or techniquement, pour garder toutes les fonctionnalités du TCAS il est impératif d' afficher le groupe S au transpondeur.
L' incident a pour origine un dysfonctionnement du bouton poussoir du manche côté CDB qui est resté bloqué en émission. Compte-tenu de la variété des causes de pannes possibles, il n' existe pas de procédure permettant d' éliminer le seul élément en défaut lors d' une panne totale de radio, néanmoins l' équipage a entrepris une vérification (déclenchement des disjoncteurs, essais des autres émetteurs/récepteurs VHF) qui s' est avérée infructueuse. Le centre opérationnel de la compagnie a tenté en vain de joindre l' appareil par liaison ACARS[8], mais le récepteur radio VHF n° 3 étant resté en mode "VOICE" et non en mode "DATA", la liaison ACARS n' a pas pu être établie.
A la suite de cet événement, la compagnie concernée a rédigé une procédure permettant à l' équipage d' isoler le coté CDB et de récupérer par conséquent les 3 VHF coté OPL ainsi que l' utilisation de l' ACARS.
L' autre événement concerne un vol long-courrier effectué par un B747-200 au départ d' un aéroport de la côte est des Etats-Unis à destination de Paris.
En début de croisière au niveau 280, en contact radio avec le centre de contrôle régional de KXXX, l' équipage constate la perte de toute émission et réception sur les postes radio VHF.
Après vérification des disjoncteurs et reset pour la VHF 1, le fonctionnement redevient normal sur tous les émetteurs/récepteurs VHF.
Environ 5 minutes plus tard l' équipage constate une nouvelle panne totale des VHF 1, 2, 3, des HF[9] 1 et 2, des interphones poste et cabine. En fait, il s' avèrera que l' émission reste active en fonction des sélections effectuées sur les boites de sélection et d' écoute mais sans retour dans les casques et haut-parleurs au cockpit. De même aucune réception des messages radio aussi bien en VHF qu' en HF n' est possible dans l' avion. L' équipage qui n' a pas de contrôle d' écoute, pense être en panne totale de communication. Il transmet malgré tout ses reports de position "en aveugle" (blind transmission) sur la fréquence 121.5 MHz, ce qui permet à l' ATC de suivre le vol et de connaître en permanence ses intentions.
Initialement le vol est poursuivi conformément à la dernière autorisation de contrôle, le transpondeur est sélecté sur 7600.
Les diverses vérifications techniques portant sur les disjoncteurs au poste et en soute électronique et sur le boîtier interphone, les boutons poussoirs d' émission sur les manches, le débranchement un à un des micros, des casques, des boites de sélection et d' écoute, ne permettent pas de solutionner le problème.
L' analyse des paramètres météorologiques montre une perturbation sur la côte Est des Etats-Unis avec des orages. Par ailleurs la nuit commence à tomber.
Ces conditions ne donnant pas l' assurance d' un retour sur l' aéroport de départ en conditions VMC[10], l' équipage décide de poursuivre le vol vers sa destination dans le cadre des procédures de panne radio en vigueur (cf. NOTA).
La traversée océanique est réalisée en respectant le plan de vol ATC déposé et notamment en effectuant les changements de niveaux de vol prévus alors que la réglementation issue du North Atlantic MNPS Airspace Operations Manual prescrit "…le pilote poursuivra sa route conformément à la dernière clairance reçue dont il accuse réception, incluant le niveau de vol et la vitesse jusqu' au dernier point spécifié de la route océanique (normalement le point d' ancrage)". L' équipage comprenant que le point d' ancrage est le point d' entrée en espace océanique poursuit son vol en suivant la route et les niveaux prévus au plan de vol et transmet en aveugle sur 121.5 MHz ses intentions, alors que par définition le point d' ancrage est le point de sortie de l' espace océanique.
La non application de cette procédure n' a pas gêné les contrôleurs de la circulation aérienne qui s' attendaient à ce que l' avion suive son plan de vol déposé, ayant de ce fait protégé les niveaux de vol indiqués sur le plan de vol. Par ailleurs, la traversée océanique à un niveau inférieur au plan de vol entraînant une augmentation de la consommation carburant aurait certainement contraint l' équipage à ne pas poursuivre le vol et à envisager un déroutement dans des conditions d' environnement marginales.
Plusieurs avions croisant l' appareil en panne radio reçoivent sur 121.5 MHz des émissions qu' ils retransmettent à l' ATC précisant notamment les intentions de l' équipage pour l' arrivée à CDG.
Le centre de contrôle régional de la zone terminale décide de solliciter le concours d' un chasseur de l' Armée de l' Air de la base de Cambrai pour intercepter et assister l' appareil en panne radio en raison des conditions météo et du fort trafic à l' arrivée. Lors de son interception au niveau de vol 360, l' avion de chasse déclenche à bord du B747 un RA[11] TCAS. L' ordre TCAS est suivi par l' équipage et l' avion monte jusqu' au niveau de vol 370. A la sortie de la couche, l' équipage du B747 aperçoit le chasseur et le suit, pensant être guidé vers un terrain militaire. A noter que dans d' autres circonstances, cette action aurait pu être interprétée par l' intercepteur comme une action de dégagement ou un refus d' obtempérer.
En traversant une zone de turbulence orageuses assez forte, l' équipage du B747 perd de vue le chasseur intercepteur qui a fait demi-tour pour rentrer à sa base. A cet instant la VHF se met à grésiller.
L' équipage du B747 récupère la VHF1 et prend contact avec le contrôle militaire sur 121.5 MHz qui relaie sur la tour de CDG L' approche et l' atterrissage sont réalisés en conditions normales. Néanmoins, la conduite de la descente a été rendue difficile par :
la génération des alarmes TCAS,
la disparition prématurée du Mirage, laissant l' équipage du B747 en descente vers un point inconnu.
A la suite de cet événement une procédure a été mise en place par le SCTA[12] en collaboration avec le Ministère de la Défense. Cette procédure demande au pilote du chasseur de couper son transpondeur à 15 NM de l' intercepté pour éviter le déclenchement d' un RA.
En ce qui concerne la panne radio, il s' est avéré après plusieurs essais au sol, qu' elle était la conséquence d' une perte d' alimentation de deux BARRE BUS RADIO, elle même causée par une détérioration avancée des soudures sur deux diodes. Les contacts intermittents des soudures coupant ou rétablissant les réceptions radio explique le retour de la réception lors du passage de l' avion dans les turbulences.
[1] ATC : Air Traffic Control = Contrôle de la circulation aérienne
[2] VHF : Very High Frequency = poste émetteur-récepteur radio émettant sur des gammes d' ondes à très hautes fréquences ( 30 à 300 MHz)
[3] HAP = heure d' approche prévue
[4] VOR = radiophare ominidirectionnel VHF
[5] QFU : direction magnétique de la piste
[6] ATIS = Service automatique d' information de région terminale
[7] TCAS = système embarqué d' anti-abordage
[8] ACARS : ARINC Communication Addressing and Reporting System = Système de communication codées entre avion et sol.
[9] HF : High Frequency = poste émetteur-récepteur radio émettant sur des gammes d' ondes à hautes fréquences ( 3 000 à 30 000 khz)
[10] VMC = conditions météorologiques de vol à vue
[11] RA = avis de résolution anti-collision
[12] SCTA = Service du Contrôle du Trafic Aérien
[i] NOTA : Les procédures relatives aux pannes de communication figurent au § 5.6.2.2. de la réglementation de la Circulation Aérienne (Règles de l' Air RCA 1 – Annexe 1 aux articles D131-1 à
PS: ce texte est tiré du site www.bea.fr.org
A+++
A.B