"Tu irais toute seule ?" "Non" 10 à 20kts avec des rafales à 27kts. Très turbulent. Bof. J'ai 17 heures de vol. "C'est sûr tu peux pas faire ça toute seule, mais avec moi si, bien sûr".
Après un briefing anormalement long où on a fait de la météo et de la météo, on décide d’aller à Cazères où il n’y a pas de vent. Bon c’est ok on décolle.
C’est un vol sans incident majeur, la 16 en service, sortie DS, on transite itinéraire SA1 puis on suit l’autoroute et la Garonne jusqu’à trouver Cazères. Mais où il est ce terrain ? Ca commence mal je n’arrive pas à le trouver. Après avoir fait demi tour et autres déboires je vois un champ encadré de trucs blancs. Victoire !!! Je l’ai trouvé !
Bon ben je fais une verticale du terrain (et même deux d’ailleurs) puis je m'intègre en vent arrière du tour de piste, j'arrive en finale et là ben mince je suis trop haut. Vraiment trop haut. Tant pis, remise des gaz (je me suis fait taper j'avais pas pris la décision c'est mon instructeur qui me l'a demandé). Ca commence vraiment mal.
Ensuite je repars et je fais trois tours de pistes franchement magnifiques.
Au 4ème en vent arrière mon instructeur me dit : bon comme les autres fois on part sur un dernier touch-and-go et après si tu es trop haut ce sera un complet. Rien de neuf.
Ce sera sans hésitation un toucher je suis en finale bien alignée, je lui dis en souriant "ce sera un touch, je suis dans le plan". Il me dit " c'est très bien". Ah, tant mieux.
Je me pose, je rentre les volets, la réchauffe carbu, je remets les gaz. 2200 tours minimum. Badin actif. Pas d’alarmes euh... et là mon instructeur commence à jouer avec le bouton de test des voyants et alarmes. Je tire sur la manette des gaz. Je freine. Je dégage la piste. Là je m'attendais à revenir au point d'arrêt, et il me dit : "Non, va plutôt au parking". J’hésite. Pause pipi ou briefing du retour plus au calme ? Je ne sais pas. Grand silence c’est bizarre. C’est très bizarre. Je me gare face au vent comme il me le demande et je garde le moteur allumé.
Il me dit "ils étaient bien tes tours de piste". Ah, merci.
Il me dit "tu vas en faire deux autres".
Ah, euh...
Ca aurait servi à rien d’en dire plus. Parce que ben ça faisait quatre ans que j’en rêvais de ce moment. Je l’avais déjà fait des centaines de fois dans ma tête, je le connaissais par cœur. Et puis il était tombé un jour où je m’y attendais plus, et ça venait, comme ça, ça tombait du ciel comme un petit cadeau dont on aurait oublié l’existence à force d’y penser trop. Ce ne serait plus "on" qui ferait les tours de piste, ce serait "toi". Toi Manon. Ah, alors c’est aujourd’hui...
Il n’a pas dit pas le mot lâché. Il a du sentir que je stressais. Un peu.
Il m’a dit "pas de panique". Et puis il m’a tout expliqué "tu vas partir, toute seule, tu gardes bien le manche secteur arrière quand tu roules, tu fais les essais moteur ensuite, tu fais bien la check-list avant décollage, c'est ton assurance vie, tu fais un premier tour de piste en gardant bien les paramètres, la vitesse, etc... tu fais un complet et ensuite tu remontes le taxiway et tu pars pour un deuxième. Tu n’oublies pas les messages radio, bon après comme tu le sais l'atterrissage n'est pas obligatoire, si tu vois que tu es trop haut tu peux remettre les gaz. A la fin tu reviens ici et tu coupes le moteur.
Je pense qu’aujourd’hui tu es en forme et que tu as atteint un niveau suffisant pour voler seule. Ca ne veut pas dire que ce sera pareil la fois prochaine, mais aujourd’hui c’est bon. Je vais prendre deux-trois trucs avec moi, déjà pour être réglementaire je vais prendre ton carnet de vol pour écrire quelque chose dedans.
Tu es prête ? euh... voui.
Ca va ? euh... voui.
Eh bien, à tout à l'heure.
Il descend de l’avion et c’est un moment je ne sais pas si j’aime ou si j’ai peur, ou si les deux à la fois, mais en tout cas je sais que je m’en souviendrai longtemps. Il descend de l’avion.
Je ferme la verrière, je passe quelques secondes à regarder les instruments en me demandant si je suis vraiment sûre de savoir à quoi ça sert tout ça, et puis je pars.
Le roulage, très stressée, et puis les essais moteur, la check et je sais pas trop à qui je fais le briefing à voix haute. Et puis le message radio. Et puis je m’aligne. On dirait que je sais faire. Il est midi 15.
Je décolle, faut bien se lancer un jour, et là c'est la libération, la montée initiale presque inexistante et le vent traversier : extase, joie absolue. Voilà, c’est ça la liberté. C’est ça que j’aime. C’est ça ce que j’avais cherché, que j’avais attendu, que j’avais rêvé sans trop savoir comment c’était exactement. C’est ça.
Et puis le vent arrière, retour à la vie normale, la routine, le quotidien, bon la vitesse c'était pas ça mais enfin, personne ne l'a vu, et puis ben il va falloir descendre.
Disons que mon premier tour de piste était le meilleur niveau paramètres, et puis de toute façon quand on est seul dans le tour de piste 5km/h de plus ou de moins c'est moins grave que s’il y a du fort trafic.
J'approche et je me pose, c’est bien dans l’axe et dans le plan, l’arrondi très correct voire assez joli. Je remonte la piste, j’enlève ma veste parce que là vraiment je meurs de chaud et après quelques vérifications je m’aligne et je décolle.
Pareil, un peu moins bon niveau paramètres mais toujours acceptable. Le deuxième est quand même moins bien que le premier, j’ai déjà vu ce que ça faisait de voler seule. Mais bon c’est génial quand même. L’atterrissage, pas mal aussi. Je me prépare à demander à l’instructeur en langue des signes si je peux en faire un troisième. J’ai trop aimé.
Je me dirige vers le parking mais il me fait de grands gestes qui désignent le point d'arrêt, ben euh j’y retourne. Un petit troisième et dernier pour la route.
Vérifs... je commence à connaître. Je re-décolle. Je re-tour de piste. J’arrive trop haut et trop vite en finale. Pas bon ça. Je sors le deuxième cran de volets, je descends plus vite et j’envisage une remise des gaz. Mais c’est bon, ça passe. Je me suis posée juste sur le seuil de piste, après le petit trait blanc. J’étais à 130km/h au début de l’arrondi mais mon instructeur dit que c’est ce qu’il faut sur une piste en herbe. Je me suis arrêtée au milieu de la piste puis j’ai roulé vers le parking. Cazères de Roméo Mike la piste est dégagée.
Allez, s’il y en a d’autres qui ont des rêves à accomplir. C’est libre, vous avez toute la place. Je vous laisse. Au total j’ai fait 0.46h de solo. J’ai coupé le moteur. Mon instructeur est revenu. Il m’a demandé comment c’était. J’ai répondu "très bien" mais ce n’était pas le mot qui convenait. Il m’a dit que comme il voyait que je me débrouillais bien à l’atterrissage, il m’a laissé faire un troisième tour de piste. Il est remonté dans l’avion. On est rentrés à Lasbordes. Il y avait beaucoup de turbulences et de vent là-bas. Après mon atterrissage il m’a dit que je pourrais faire pilote dans l’Aéronavale. Je ne crois pas que c’était un compliment.
Mais bon ça y est j'ai volé seule.
Ca y est j’ai un truc écrit dans la colonne "CDB" de mon carnet de vol. Ca y est il y a un oiseau de plus dans le ciel. Ca y est c’est bon il fallait vraiment que je le fasse et maintenant c’est fait. Ca y est et je n’ai pas attendu pour rien. Vraiment. Je ne trouve pas le mot pour désigner ce que j’ai ressenti à ce moment là, toute seule dans mon DR400 en vent traversier du premier tour de piste. Tant pis. Je ne sais pas si ça existe dans le dictionnaire.
Alors à bientôt à vous tous dans les airs, quelque part sûrement entre le Soleil et la Terre...
Manon