Leur septième ciel
Sylvain Cottin
Rencontre inattendue, situation insolite, évènement exceptionnel : Partagez vos souvenirs de vacances sur le forum de la rédaction
Sur Air France, l'hôtesse de l'air est une dame si gentille qu'elle a l'élégance rare de porter un tailleur Christian Lacroix lorsqu'elle dépose sur vos cuisses ce plateau-repas qui fait pourtant autant de mal à la gastronomie française qu'à l'estomac. Que votre coeur en soit tout retourné, et elle vous tendra alors avec tendresse un petit sac de courtoisie. C'est dire si elle a la classe. On sait d'ailleurs qu'aux après-midi d'ennui elle bronze à Tahiti, tandis qu'aux soirs de brouillard elle fait du shopping sur Hollywood Boulevard. Sa vie, longtemps, ressembla à un rêve, et vous rêviez de l'accompagner au septième ciel. Tout cela dura jusqu'au 5 avril 2005, sombre journée où l'on fit tomber sa jupe pour lui remonter son pantalon. Ambassadrice historique du mollet parfait et du genou qui rend fou, l'hôtesse d'Air France venait alors de précipiter malgré elle des milliers de machos voyageurs dans le désarroi le plus total. Aussitôt, l'état-major de la compagnie tenta de reprendre les commandes, assurant en contrepartie que toutes les autres procédures de vol seraient respectées : cheveux attachés, pas de piercing ni de tatouage apparent, bijoux et lunettes tolérés à condition qu'ils restent discrets, et tout de même encore 5 bons centimètres de talons aux escarpins. En coulisse, pourtant, la rumeur allait bon train : si les jambes des hôtesses subissent désormais le même sort que celles des stewards, n'est-ce pas plutôt parce qu'une partie d'entre elles affichent de trop longues heures de vol ?
14 000 hôtesses et stewards. A question idiote, seconde question un peu moins idiote. Le mythe de l'hôtesse fait-il encore rêver les petites filles comme les grands garçons ? Presque aussi commun aujourd'hui qu'un trajet en métro, l'explosion du transport aérien aura peu à peu banalisé cette profession en même temps qu'il l'a rendue accessible. Près de 14 000 hôtesses et stewards rien que chez Air France, où l'on assure en revanche que le prestigieux standing made in France ne sera pas sacrifié sur l'autel des économies d'échelle.
Ailleurs, les turbulences affectent d'abord les compagnies à bas coûts. Et d'ironiser parfois en assurant que la seule compétence exigée est d'être assez mince pour ne pas rester coincé entre deux rangées de clients-sardines. Aussi excessive soit-elle, la plaisanterie révèle un certain malaise. Passagers de plus en plus irascibles, notamment depuis l'interdiction de la cigarette, crainte des attentats, cadences infernales, otites et rhumes en veux-tu, en voilà... Sous couvert d'anonymat, le constat est sévère : « Le pire, ce sont les costards-cravates, ces hommes d'affaires qui ne veulent pas être en retard alors que le propre de l'aviation, actuellement, c'est le retard », raconte une hôtesse. « Nous n'y pouvons rien, mais souvent on nous traite comme des connes. S'ils savaient que parfois on n'a même plus le temps de manger avant de réembarquer... Il y a vingt ans, les filles avaient des vies de princesses sur les escales; maintenant, la vis est serrée. »
« Comme si je prenais le taxi ». Sauf peut-être sur les long-courriers d'Air France, où il serait bien ingrat de ne plus rêver d'avoir toute sa vie les fesses en l'air. Dans les salons de l'aéroport de Mérignac, Géraldine Crespo-Legendre est même persuadée d'être une reine : « Je me dis quand même que mon boulot consiste à voyager et dormir dans des endroits magnifiques. Quatre ou cinq vols par mois. De quoi vivre tranquillement le reste du temps à Bordeaux avec ma famille. Le matin, je vais bosser en avion à Roissy comme si je prenais le taxi. J'ai 34 ans, je n'arrêterai certainement pas avant la retraite. » Et s'il est un autre baromètre qui ne trompe pas, celui de la drague en vol témoigne bien d'une aura toujours préservée parmi les hommes de plus ou moins bon goût. Ceux-là même qui continuent hélas de penser qu'hôtesse de l'air rime forcément avec s'envoyer en l'air. Brisons leurs espoirs : la majorité du personnel de bord ne va pas chercher plus loin qu'au bout du cockpit l'élu de son coeur.
SudOuest