En 2020, le pétrole sera de plus en plus rare, donc de plus en plus cher. Est-ce la fin des billets d'avion à prix cassés ?
On va y arriver. Nous n'avons pas trouvé d'énergie autre que le pétrole pour faire voler les avions. Même si, en 2025, le pétrole est consacré en grande partie à l'industrie aéronautique, l'augmentation du prix de ce carburant se répercutera obligatoirement sur les billets.
Face à l'automate. Le pilote, le contrôleur et l'ingénieur.
Les recherches actuelles portent sur des avions qui consommeraient moins et transporteraient encore plus d'individus, comme les "ailes volantes". Ces machines très plates et triangulaires accueilleraient dans leurs ailes les passagers. Mais je suis étonné de voir que personne n'a réellement anticipé la question pétrolière dans le monde aérien.
En 1980, 7 avions long-courriers sur 10 étaient occidentaux, en 2030, une majorité sera asiatique. Qu'est-ce que cela va changer ?
Les avions et le système aérien ont été conçus en Occident. Il existe un évident problème culturel. Un chercheur s'est penché sur les nombreux accidents à Taïwan liés, selon lui, au fait que tout ce qui a été développé dans le cockpit, y compris les méthodes pour que pilote et copilote s'entendent bien, sont aux normes occidentales. Les Chinois voyagent déjà dans l'espace. L'aéronautique va subir un choc quand ils vont se mettre à fabriquer des avions plus adaptés à leur culture. Les Occidentaux devront peut-être à leur tour s'y adapter.
24 millions de passagers en 1950, 1,5 milliard en 2000. Combien en 2020 ?
Le chiffre de 3,5 milliards a été annoncé en 2000, en plein optimisme. Actuellement, seuls les constructeurs Airbus et Boeing continuent sur cette lancée. Car le 11 septembre 2001 a changé la donne. Les touristes peuvent avoir peur de voyager loin, comme c'est le cas actuellement.
Autre incertitude, la pression des sociétés pour un meilleur respect de l'environnement. L'avion fait du bruit et pollue autour des aéroports, il dégage des gaz à effet de serre. L'aviation ne peut pas respecter le protocole de Kyoto. Comment la société va-t-elle réagir ?
Trois scénarios viennent d'être imaginés en Europe, dans le cadre de l'Acare (Advisory Council for Aeronautics Research in Europe). Du plus optimiste (7 % à 8 % de croissance du trafic par an) au plus pessimiste (1 % à 1,5 % par an). Côté américain, une recherche similaire existe. Mais, après une certaine euphorie, les prévisionnistes américains et européens sont dans l'incertitude.
Va-t-on multiplier les aéroports ?
Il le faut. Je ne vois pas comment les aéroports existants pourront accueillir tous ces avions. Augmenter la cadence pour qu'un avion de plus par heure atterrisse sur une piste est déjà une prouesse. Si les sociétés occidentales ne veulent pas accepter le développement des aéroports pour des raisons environnementales, il n'y aura plus d'essor du transport aérien. Ce genre de considérations n'est pas encore d'actualité dans les pays émergents, mais cela arrivera tôt ou tard.
Comment faire voler encore plus d'appareils dans un ciel déjà encombré ?
Actuellement, les avions suivent des "routes aériennes" en se repérant par des phares électromagnétiques situés au sol. La planète est totalement maillée et, avec le réseau actuel, un appareil peut aller pratiquement en ligne droite de n'importe quel aéroport à n'importe quel autre.
La prochaine étape a déjà été franchie. Certaines nouvelles routes sont totalement virtuelles et les avions se recalent en utilisant les satellites, grâce au GPS, et bientôt Galileo. On peut imaginer, dans un futur proche, un réseau virtuel de routes totalement indépendantes du sol. Cela serait économique, car on n'aurait plus besoin d'entretenir ces bornes à terre. On appelle cela le "free route".
Comment faire en sorte que tous ces avions ne se percutent pas ?
C'est la question. Actuellement, ce sont les contrôleurs aériens qui surveillent les avions en route et qui décident dans quel ordre ils vont atterrir ou décoller. Ce système, très humain, est limité par le nombre d'avions qu'un contrôleur peut avoir en tête à un moment donné. J'ai retrouvé des documents anciens : depuis cinquante ans on se dit que ce métier est de l'artisanat intellectuel, que l'homme fait des erreurs et devrait être remplacé par une machine. Le débat sera de plus en plus d'actualité.
A quand des machines pour contrôler, du sol, les avions ?
Ce fut le rêve de Ronald Reagan en 1981. Après une longue grève des contrôleurs aériens, le président américain a lancé le NAS (National Airspace System), un programme sur dix ans coûtant 10 milliards de dollars, dont le coeur était l'automatisation du contrôle aérien. Deux milliards ont été dépensés et le projet s'est arrêté en 1988. Vingt-cinq ans plus tard, avec 30 ou 40 milliards de dollars supplémentaires, la rénovation du contrôle du trafic aérien n'est toujours pas achevée.
Depuis quelques années, certains systèmes d'alarme, installés dans le cockpit ou au sol, permettent d'éviter les collisions de dernières minutes. Le monde de l'aviation espère toujours créer des avions totalement indépendants, qui auraient à bord les machines nécessaires pour éviter les collisions. Les grands laboratoires (la NASA et la FAA aux Etats-Unis, le centre de recherches de l'agence Eurocontrol, que je dirigeais, en Europe) cherchent actuellement à concevoir des machines qui détectent 20 à 40 minutes à l'avance les collisions potentielles. Mais cela ne marche toujours pas.
Près de 7 accidents sur 10 viennent d'erreurs humaines dans les cockpits. A quand un avion sans pilote, notamment pour le fret ?
Il y a une autocensure sur le sujet. Les compagnies aériennes et les constructeurs n'osent pas en parler pour ne choquer ni les passagers ni les pilotes. Pourtant, les drones existent déjà et, dans de nombreux cas, le pilote est au sol.
Pour organiser une planète aérienne de plus en plus complexe, l'intelligence collective va devoir être à terre. L'avion va devenir un oiseau mécanique commandé du sol. On peut imaginer une automatisation plus forte et des avions avec un seul pilote. C'est une des principales pistes pour augmenter la sécurité en baissant la fréquence d'accidents.
Propos recueillis par Laure Belot
Article paru dans l'édition du 20.11.05
Fréquentation
Les routes aériennes les plus utilisées sont : Rio de Janeiro-Sao Paulo (Brésil), 214 vols en moyenne par jour ; New York-Washington (Etats-Unis), 152 ; New York-Chicago, 145 ; Rome-Milan (Italie), 135 ; Madrid-Barcelone (Espagne), 129 ; Taïpeh-Kaohsiung (Taïwan), 126 ; Londres (Royaume-Uni)-Dublin (Irlande), 112 ; Sydney-Melbourne (Australie), 105 ; Los Angeles- San Diego (Etats-Unis), 105 ; Londres-Amsterdam (Pays-Bas), 104 ; Londres - Paris, 103 ; Séoul-Busan (Corée du Sud), 101 ; (Source : Flight Movement Database Report, 2002)
source : LE MONDE