Petite expérience personnelle... dans la série "de toutes les façons, tu n'y arriveras jamais".
J'étais dans ma dernière année d'école obligatoire. Je détestais mon prof de math et c'était réciproque, mes notes plongeaient dans cette branche. D'habitude, j'étais "dans la moyenne", ni devant, ni derrière et c'était la toute première fois que j'étais "en échec" quelque part, toutes les autres matières étaient ok. J'étais dans une section "scientifique" (en Helvétie, on choisissait dès le début du collège une orientation).
- Tes notes en math sont catastrophiques. Tu comptes faire quoi après?
- Je vais aller au lycée. [j'avais volontairement omis de parler d'aviation]
- Tu n'en seras pas capable. D'ailleurs, tu ne passeras même pas ta 9ème S (qui est l'équivalent pour vous de la dernière année du collège)
-
Rendez-vous dans 10 ans.
Alors non seulement j'ai passé cette année là (en m'accrochant, certes, mais j'allais en tous cas pas lui donner le plaisir d'avoir raison) mais j'ai aussi enchainé sur le lycée sans aucun problème puis sur un diplôme d'ingé avant de me tourner définitivement vers l'aéro.
Si j'avais écouté tout ceux qui m'ont dit "tu n'y arriveras jamais", c'est certain, je n'y serais jamais arrivée. En plus, je cumulais les tares: fille, "moyenne" dans les études et porteuse de lunettes. Je n'avais donc pas que les profs sur le dos, mais aussi les toubibs, la famille, les amis qui me conseillaient gentiment "d'arrêter de rêver" et j'en passe. Cela a perduré depuis la primaire jusqu'après le diplôme d'ingé...
A de rares exceptions près, quand on veut, on peut. A condition de s'en donner les moyens...
Extrait de l'excellent livre de Jacques Darolles "Le plus beau bureau du monde" [source: http://www.darolles.com/articles.php?lng=fr&pg=3]
Aube Africaine a écrit:
Si ça continue, il va finir par faire jour." prophétise Jean-Pierre, notre mécano. En effet, là-bas à l'est, ça commence à pâlir très légèrement, et sur le Kenya, que nous survolons, il fera bientôt jour.
Extraordinaire bordel des liaisons radio HF en Afrique centrale, où certains centres de contrôle n'ont même pas le téléphone, où tout le monde gueule en même temps, et où la fréquence 126.90 sert d'auto-info à toutes les compagnies aériennes du monde, pour se repérer les uns les autres, en attendant l'accident majeur, qui un de ces jours, forcément, arrivera.
Pour payer mon brevet TT en 1975, j'ai travaillé comme garçon de ferme, à arroser les maïs l'été, et dans les champs je levais la tête pour voir passer les autres. Le gamin que je fus m'accompagne souvent dans mes vols long-courriers. En cette fin de nuit de vol, il est là, je le sens, derrière moi, à regarder par dessus mon épaule se dessiner la formidable silhouette du Kilimandjaro, qui, droit devant, grand seigneur, est servi le premier dans la distribution de soleil, seule montagne au milieu de la platitude. Fin de nuit sur l'Afrique, encore 4 heures 30 avant La Réunion. Tu as le nez sur le pare-brise, et tu vois arriver, sur ton 747, le Kilimandjaro, rien que ça.
Là, tu es MUET.
Parce que c'est grandiose. C'est dans ce genre d'instant que tu comprends que tu as eu raison.
"Devenir pilote, mon petit ? tu n'y penses pas ! Cherche plutôt un vrai métier !"
Là, on est stables niveau 330, et parfois, en vol, je tape un peu la ferraille et le plexi autour de moi, pour vérifier que oui, c'est du solide, je n'ai pas rêvé, je suis bien aux commandes d'un 747, c'est pour de bon, c'est du vrai !
"Pilote ? Allons, jeune homme, il faut faire Math sup, Math spé, Prépa truc, Math Schpountz..."
L'horizon est maintenant ocre-orange, j'ai avancé mon siège en butée avant, pour permettre à Patricia, hôtesse au pont supérieur, de boire ça des yeux, muette aussi, en compagnie du gamin que je fus, et qui est derrière mon dossier.
"Vous n'avez pas la qualif QT ZAR FQX625, mon pauvre garçon. Vous voudriez devenir PN ? Laissez tomber..."
L'ancien volcan auréolé de neige est à 15 nautiques dans mes trois heures, c'est géant, je ne sais pas comment vous dire ça, c'est géant !
"Pilote ? repassez dans deux ans, on verra."
Il est 7 heures 15 du matin en France, et tous ceux qui m'ont donné ces conseils avisés se tapent le métro ou le périphérique dans la bruine grisâtre
Le Mont Kilimandjaro, Seigneur de l'Afrique, glisse sous mon aile droite.
Je pense à vous.
Accrochez-vous.