À 8 000 kilomètres de distance, les deux capitales de l'aéronautique se toisent. L'une abrite Airbus, l'autre Boeing ; mais leurs sous-traitants se partagent souvent entre les deux sites.
TENDANCE récente, les différences entre Airbus et Boeing tendent à s'effacer. Ce rapprochement apparent dans leur organisation n'est pas sans conséquence sur les deux grandes capitales de l'aéronautique, Toulouse et Seattle, où les constructeurs sont installés. Autrefois très centralisé, Boeing délocalise désormais dans le monde entier (Japon, Corée, Italie, etc.) la production du 787, le nouveau biréacteur long-courrier qui doit voler cette année. Reste à Everett, une des usines de Seattle, l'assemblage de l'avion, le coeur du métier de constructeur. De même, le fuselage du Boeing 737, le moyen-courrier le plus construit au monde, est réalisé à Wichita dans le Kansas, puis acheminé par chemin de fer à Renton, l'autre unité de Seattle où il est complètement équipé.
À l'inverse, Airbus, dans le cadre du plan d'économie Power8 qui sera détaillé dans quelques jours, va s'efforcer de rationaliser ses chaînes d'assemblage sur un nombre plus limité de sites. Il est vraisemblable qu'une seule usine européenne traitera les quatre modèles de la famille d'A 320 au lieu de deux (Toulouse et Hambourg). L'assemblage (Toulouse) et la finition (Hambourg) de l'A 380 pourraient ne plus être dissociés.
Ces réaménagements ne vont pas manquer de bousculer les processus industriels des sous-traitants. Lors d'Aerosmart, la récente convention toulousaine des entreprises du secteur aéronautique, le plan d'économies annoncé par EADS pour Airbus était au centre des discussions. Les sous-traitants s'inquiètent de voir le nombre des fournisseurs dits de premier rang - c'est-à-dire en contact direct avec l'avionneur - réduit à 500 au lieu de 3 000. Cette nouvelle organisation pyramidale incite les entreprises à s'associer dans les programmes. Une perspective peu réjouissante pour beaucoup, car les sous-traitants entre eux ne se font guère de cadeau. Ils sont à la fois plus exigeants sur les délais de fabrication, mais plus laxistes qu'Airbus sur les conditions de paiement. Pour certains, les deux ans de retard de l'A 380 sont dramatiques, s'ils ne travaillent que pour ce programme. Les entreprises mieux implantées dans le secteur affichent un bilan plus contrasté : les délais du super-jumbo peuvent être compensés par la montée en puissance de la production de l'A 320 ou encore par celles d'autres constructeurs comme Embraer avec ses nouveaux avions régionaux ou Dassault avec sa gamme Falcon.
Les lourdeurs administratives
Les entreprises françaises rencontrent aussi quelques soucis purement administratifs. « En Finlande, pour constituer un dossier d'aide européenne, il faut quatre mois. En France, il en faut vingt et un », déplore un industriel toulousain qui s'est retrouvé face à un programme terminé quand le financement est arrivé. Aux États-Unis, les aides équivalentes, souvent réservées à des minorités (entreprises dirigées par des femmes, par exemple), sont attribuées très rapidement. Autre lourdeur, « une autorisation d'exporter du ministère de l'Industrie que l'on obtient toujours, demande plus de six mois à moins de faire intervenir l'entourage du premier ministre », explique Claude Carbon, directeur général de Forest Liné (machines-outils) qui a manqué de perdre un marché en Chine. En attendant les 145 millions d'euros d'aides annoncées lors de la visite de Dominique de Villepin à Toulouse, les industriels souhaitent aussi moins d'entraves.
« Le problème majeur reste la parité euro/dollar », souligne François Junca, président du conseil de surveillance de Latécoère, fournisseur d'Airbus comme de Boeing, mais aussi du brésilien Embraer et du canadien Bombardier. « S'il est possible d'avoir une couverture bancaire sur le dollar à cinq ans, un programme aéronautique, lui, court sur quinze à vingt ans. Le risque devient plus monétaire qu'industriel. » Aussi plusieurs entreprises sont-elles tentées de produire hors zone euro. En Asie d'abord, mais également aux États-Unis.
À Seattle, le cinquième employeur aéronautique, le groupe français Zodiac (systèmes divers, sièges, toboggans, etc.), compte 800 salariés dans ses différents établissements locaux. Certes, il est loin derrière les 50 000 collaborateurs de Boeing. Les rapports de l'avionneur américain avec les fournisseurs semblent moins conflictuels que ceux d'Airbus. « L'approche est différente. Les réunions avec les ingénieurs permettent d'abord d'élaborer les spécifications. Puis, les contrats commerciaux sont négociés et tiennent compte des investissements en ressources », expliquent Alinh Hoang, directeur Amérique de Zodiac et Jean-Luc Noirjean, responsable des programmes Boeing chez Messier-Bugatti (groupe Safran). Si une entreprise ne remporte pas l'appel d'offres, elle est alors mise en contact avec les autres sous-traitants pour collaborer avec ceux qui sont chargés d'ensembles complets.
Des organes majeurs du nouveau Boeing 787 sont désormais confiés à des groupes français, comme le train d'atterrissage et le système de freinage. Au total, on estime à plus de 5 % le made by France du dernier long-courrier de Boeing. Un chiffre toutefois modeste par rapport aux 50 % d'équipements américains installés sur l'Airbus A 380.
Source: Le Figaro.fr