Un soir, t'en souvient-il ? nous voguions en silence ;
On n'entendait au loin, sur l'onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.
..."
Alphonse de Lamartine, Le Lac
Arrivé de bon matin dans ce petit coin de paradis qu'est la Jack Brown's Seaplane Base de Winter Haven au centre de la Floride, dans cette étonnante région marécageuse parsemée de petits lacs, les formalités d'arrivée ayant été effectuées, après un rapide cours théorique nous sortîmes de la salle de classe, et il était là, ce stradivarius du ciel, ce minutieux assemblage de tubes, de bois et de toile jaune, puissante machine à rêver, symbole d'une autre aviation fabuleusement romantique.
Je m'installe confortablement en place arrière (la place pilote), et mon instructeur en place avant. J'ai à ma disposition un manche, un palonnier, et une manette de gaz. Les rares instruments qui composent le tableau de bord me sont difficilement visibles, car cachés par l'instructeur.
Mise en route, les amarres sont larguées, et l'avion avance. Et oui, sur l'eau pas de freins ! La seule façon de s'arrêter, c'est de couper le moteur.
Nous taxions tranquillement vent arrière vers l'autre bout du lac, accompagnés par les deux autres Piper Cub de l'école dans lesquels ont pris place mes deux collègues de stage et leurs instructeurs respectifs. Arrivés au bout, 1700RPM, sélection magnétos, essai de la réchauffe, on revient au ralenti en vitesse, car pendant ce temps l'avion avance !
Les deux autres Cubs décollent, et vient notre tour. Une rapide check-list est effectuée de mémoire, CARS : Carb heat - off, Area - clear, water Rudders - up, Stick - back, et bien sur on n'oublie pas de laisser la porte ouverte ! Et oui, c'est le mois d'octobre en Floride, il fait un agréable 25, on ne va pas se priver du plaisir de voler la porte ouverte !
Mise des gaz, l'avion cabre une première fois, accélère un peu, cabre une deuxième fois un peu plus, on rend doucement la main pour le mettre à la bonne assiette sur le redan, il prend de la vitesse, et puis s'envole tout naturellement. Je jubile !
Nous rejoignons les autres Cubs pour une petite séance de vol en formation ! C'est mon premier vol, l'instructeur est au commandes alors forcément il se fait un peu plaisir !
On vole cinq minutes, et les trois Cubs amerrissent en formation sur un des nombreux lacs qui jonchent l'endroit.
On va pouvoir passer aux choses sérieuses, je prend les commandes pour mon premier décollage sur l'eau ! On refait notre courte check-list "CARS", et c'est parti !
Que de sensations ! C'est vraiment extraordinaire, il faut une bonne précision dans le dosage sur la profondeur pour que l'avion soit juste à la bonne assiette qui lui permettra d'être positionné comme il faut sur ses flotteurs pour prendre de la vitesse. Pas assez ou trop de manche arrière, et on sent instantanément l'avion ralentir !
Bon, c'est pas tout mais il va falloir le poser maintenant ! Tour de piste à 500 pieds, on repère la direction du vent grâce aux bandes d'eau calme le long du rivage, ainsi qu'avec la direction des vagues. On choisit l'endroit où se poser pour éviter les bateaux auxquels nous devons laisser la priorité, mais également pour amerrir face au vent. Travers le point d'aboutissement, réchauffe carbu (mise par l'instructeur car difficilement accessible de la place arrière !), mise en descente, puis virage en base, finale, quand on arrive à distance de plané du lac, on coupe les gaz, et on laisse l'avion planer, puis vers 20 pieds de hauteur on commence à arrondir pour amener l'avion à la bonne assiette vers 10 pieds, et on le maintient, en essayant de toucher l'eau doucement avec le manche en butée arrière.
Ouf ! Posé, pas cassé, pas mal pour une première fois ! On enlève la réchauffe, remet les gaz et on est parti pour une longue séance de deux heures de décollages et d'amerrissages au cours de laquelle j'apprendrai les différentes techniques de décollage et d'amerrissage par diverses conditions "rough water", et surtout le fameux "glassy water", lorsque l'eau est si calme que le lac se comporte comme un miroir, enlevant ainsi au pilote toute perception de sa hauteur par rapport à l'eau.
Après avoir bien travaillé, retour à la maison. Le petit avion jaune va pouvoir se reposer quelques heures, avant qu'on ne remette ça l'après-midi !
J'abrégerai la suite de l'histoire : un deuxième vol donc l'après-midi, troisième vol le lendemain matin, totalisant donc 5 heures de vol, puis le lendemain après-midi, l'examen ! Quelques minutes d'interrogation orale, un peu moins d'une heure de vol, et me voilà officiellement pilote d'hydravion !
Quelle expérience ! Le Piper Cub est un avion fantastique, qu'il soit sur roues ou sur flotteurs, mais sur l'eau les sensations sont démultipliées ! Quelle fantastique sensation de liberté on a, à faire des sauts de puce de lac en lac, pas de piste, pas de radio, juste un manche, des palonniers, et une manette de gaz !