Tout est possible, suffit d'y croire.
Jacques Darolles a écrit:
Pour payer mon brevet TT en 1975, j'ai travaillé comme garçon de ferme, à arroser les maïs l'été, et dans les champs je levais la tête pour voir passer les autres. Le gamin que je fus m'accompagne souvent dans mes vols long-courriers. En cette fin de nuit de vol, il est là, je le sens, derrière moi, à regarder par dessus mon épaule se dessiner la formidable silhouette du Kilimandjaro, qui, droit devant, grand seigneur, est servi le premier dans la distribution de soleil, seule montagne au milieu de la platitude. Fin de nuit sur l'Afrique, encore 4 heures 30 avant La Réunion. Tu as le nez sur le pare-brise, et tu vois arriver, sur ton 747, le Kilimandjaro, rien que ça.
Là, tu es MUET.
Parce que c'est grandiose. C'est dans ce genre d'instant que tu comprends que tu as eu raison.
"Devenir pilote, mon petit ? tu n'y penses pas ! Cherche plutôt un vrai métier !"
Là, on est stables niveau 330, et parfois, en vol, je tape un peu la ferraille et le plexi autour de moi, pour vérifier que oui, c'est du solide, je n'ai pas rêvé, je suis bien aux commandes d'un 747, c'est pour de bon, c'est du vrai !
"Pilote ? Allons, jeune homme, il faut faire Math sup, Math spé, Prépa truc, Math Schpountz..."
L'horizon est maintenant ocre-orange, j'ai avancé mon siège en butée avant, pour permettre à Patricia, hôtesse au pont supérieur, de boire ça des yeux, muette aussi, en compagnie du gamin que je fus, et qui est derrière mon dossier.
"Vous n'avez pas la qualif QT ZAR FQX625, mon pauvre garçon. Vous voudriez devenir PN ? Laissez tomber..."
L'ancien volcan auréolé de neige est à 15 nautiques dans mes trois heures, c'est géant, je ne sais pas comment vous dire ça, c'est géant !
"Pilote ? repassez dans deux ans, on verra."
Il est 7 heures 15 du matin en France, et tous ceux qui m'ont donné ces conseils avisés se tapent le métro ou le périphérique dans la bruine grisâtre
Le Mont Kilimandjaro, Seigneur de l'Afrique, glisse sous mon aile droite.
Je pense à vous.
Accrochez-vous.