Comme promis, je ressors le récit d'une superbe manip' d'il y'a bientôt 2 ans (Vache, déja...) et qui avait été mon premier vol militaire.
Le 26septembre 2006 avait lieu l'exercice VolFAP 06-03, mettant en oeuvre, dans le quart Nord-est de la France et au départ, principalement, d'Orléans, une demi-douzaine d'Appareils de Transport Tactique et leurs moyens supports et opposants. A noter, la participation d'un Transall allemand et de F-16 belges jouant les opposants.
Schématiquement l'objectif était le largage de parachutistes sur les aérodromes de Doncourt-lès-Conflans et Chambley ainsi qu'un poser d'assaut à Grostenquin, le tout suivi d'un atterrissage à Metz. Ayant eu la chance de participer à l'exercice depuis les premières loges (le cockpit d'un des Transall engagés, en fait), j'aimerais essayer de vous faire découvrir le "côté obscur" des Opérations Aériennes.
Attention, je ne suis pas Alexandre Paringaux, je n’ai pas plus la photo que la plume aisées et le petit texte qui suit n’est pas venu facilement et serait largement perfectible si j’en avais le temps…
Quelques petites précisions, d’abord :
Entre parenthèses, dans la mesure où ça n'alourdit pas trop, j'essaierai de mettre la "traduction" de certaines expressions.
Lundi 25.09 / 14.00 :
J'arrive à l'Escadron de Transport 01.061"Touraine" avec un peu d'avance pour le briefing, avance mise à profit pour visiter un peu les lieux et discuter "couture" avec les collègues locaux autour d'un café au bar de l'escadron.
15.30 :
L'ensemble des participants du VolFAP 06-03 est réuni en salle de briefing du Touraine pour le "Mass Brief" (Briefing préparatoire à l'exercice, tenu à H-24 en gros). En préambule, le MétéoMan annonce une évolution anticyclonique de la situation occasionnant de belles éclaircies entrecoupées d'averses sur le Nord est de la France. Vient
ensuite la présentation "Intel" (de « Intelligence », nom anglais du « renseignement ») abordant l'environnement géopolitique, la SITAC (SItuation TACtique, présentant les menaces sur zone) et un rapide exposé des moyens air-sol et air-air adverses 5 batteries anti-aériennes et chasseurs ennemis). A l'issue de cet exposé, le Mission Commander (MC : Navigant qui monte l'opération et en gère toute l'organisation) présente le « Flow Plan ». Déroulement chronologique, grandes lignes de la navigation et objectifs de la
mission seront successivement abordés sans rien oublier. Le briefing se termine par une partie Communications et Sécurité des Vols, aspects primordiaux, notamment, comme ce sera le cas ici, lors d'opérations en BA (Basse Altitude).
Le Mass Brief terminé, je profite du temps qu'il me reste pour aller profiter de plus près des 29 tonnes de métal (à vide, et 50 à pleine charge...) qui nous serviront demain à traverser la moitié de la France en radada...
Première constatation : C'est exigu ! Un petit escalier sert pour accéder au cockpit où les 4 sièges et la banquette semblent relever plus du modélisme que de l'aviation militaire. Malgré cela, on s'y sent bien et la boutonite aigue dont est frappée la planche de bord fait plaisir à voir et rappelle que nous sommes ici dans un avion fort vénérable bien que toujours largement utilisé sous tous les cieux du monde. Explications techniques fournies par le sympathique MecNav (Mécanicien Navigant, assurant notamment la conduite moteur durant le vol) qui m'accompagne, nous redescendons l'escalier et nous intéressons au ventre de l'animal.
Là aussi, même constat : C'est tout petit ! Difficile d'imaginer que peuvent tenir là-dedans, au choix : Un hélicoptère Puma, 80 parachutistes tout équipés ou un Sagaie. Autre particularité amusante : l'avion étant issu de la coopération franco-allemande, tout, jusqu'au plan de chargement en soute, est étiqueté dans les langues de Goethe et Molière.
Visite du bestiau terminée, fin de journée et RdV demain à 10.30 locales.
Mardi 25.09 / 09.00
J'arrive à 09 heures au Touraine où c'est déja l'effervescence. Les équipages, les mécanos, les rens, tout le monde court dans tous les sens. Très vite, c'est l'heure du "Serial Brief" réunissant tous les équipages de notre package (groupe d’avions réunis par une mission commune). A la différence du « Mass Brief » d’hier, celui-là abordera les détails de l’opération. Dernière météo et évolutions prévues, paramètres de navigation et détails des objectifs. Bien que mauvaises sur le Nord-est, les conditions météo sont censées s’améliorer considérablement en milieu de journée, permettant la réalisation de la mission. J’apprends au passage que je volerai sur un Transall de l’ET 01.064 « Béarn » dont la mission sera un parachutage sur le terrain de Chambley.
13.30
Repas pris, le rendez-vous est fixé à l’Escale Aérienne Militaire pour le « Last Brief » avant décollage. Evolution météo favorable, accord du Mission Commander, c’est parti ! Chaque équipage se dirige vers son avion sous l’œil des paras du 17° RGP, rangés en bon ordre sur le tarmac. Installation à bord (à 6 dans un cockpit de Transall, y’a de la chaleur humaine…), embarquement des parachutistes et … on attend. On attend l’heure de mise en route prévue, puisque tout se fait sous plan de vol et qu’il n’y a donc pas de place pour l’improvisation au niveau des horaires.
Enfin, 13.55, essai radio entre les avions du package :
« Castor Alpha, Check »
« Alpha 3 »
« Alpha 5 »
« Leader »
Puis, le contact avec la tour d’Orléans, sur la fréquence Sol :
« Bricy Ground, Cotam 1261, request IFR start-up to Auxerre »
“Cotam 1261, Bricy Ground, start-up approved”
Et, chacun, du leader au numéro 6 démarre ainsi.
Début de roulage vers la piste 25, les moteurs grondent et les 40 tonnes de notre Transall s’avancent. Les check-lists et les minutes s’égrènent et, enfin, nous nous alignons derrière le leader qui décolle.
« Bricy Tower, Cotam 1263, ready for departure »
“Cotam 1263, Bricy Tower, clear to take-off runway 25, wind is calm”
Mise en puissance sur freins, de toutes ses forces, l’avion essaie d’avancer, de s’échapper…
« Pleine puissance, top décollage »
Accélération impressionnante comparée à la taille de l’animal, qui voudrait vous clouer au fond du siège.
« 20 kts, manche tenu »
« 105 kts, rotation »
Là, où l’on s’attendrait à une lente rotation, c’est un franc cabré qui vous surprend et tout s’enchaîne aussitôt.
« Vario positif, le train sur rentré »
« Le train rentre »
Et c’est parti pour Auxerre, première étape de notre voyage. Le vol, sans aucun lien avec la mission elle-même mais servant juste à nous amener sur le lieu de l’exercice, s’effectuera en moyenne altitude et nous montons tranquillement au-dessus de la couche, quelques kilomètres derrière le leader.
Rapidement (à plus de 200 kts, ça vient vite), Auxerre arrive et il faut déjà descendre. Percée aux instruments à travers la couche particulièrement surprenante pour le modeste pilote VFR que je suis. Une mer de nuage monte vers vous et tout se teinte de blanc. La visibilité tombe à 0,0 mètres et seuls les instruments permettent de s’orienter. Passage « bas » à 1000 ft/sol environ sur le terrain d’Auxerre et poursuite de la nav en COM V Très Basse Altitude. Le paysage défile franchement vite, on voit les chemins sous les arbres et les collines passent décidemment bien près du bout des ailes, le tout à 180 kts !
Souvenir d’un troupeau de vaches (11, précisément …) qui courent, apeurées par l’avion. Images de voitures sur les routes dont je peux déterminer jusqu’au modèle. Et encore, pour le moment, c’est calme, nous sommes toujours en zone « amie » et nous passons en circuit d’attente au nord de la Côte d’Or. Le temps de contacter « Cyrano », l’AWACS qui nous couvrira et nous nous préparons au « Push »
(Passage en zone hostile).
A l’heure prévue, c’est le déclenchement de la mission. Le mot code est transmis et chaque appareil se prépare au combat (tout relatif en Transall, l’essentiel du combat consistant précisément … à l’éviter !).
En face, les F-16 belges ne nous ferons pas de cadeau et déjà Cyrano nous met en garde :
« Cyrano, Picture, Bull’s eye, 320, 125, 2 hostiles » (Ici Cyrano, je vais transmettre une info de trafic, par rapport au point de référence, dans le 320° à 125 Miles Nautiques, 2 appareils hostiles)
La tension monte à bord. Heureusement nos « anges gardiens » veillent et vont tout mettre en œuvre pour écarter la menace et nous permettre d’accomplir notre mission. Déjà la radio crachote avec ce bruit d’arrière-plan typique des chasseurs :
« Sniper 33, fox 1 » (Sniper 33, tir de missile électromagnétique semi-actif)
Sous leur protection, l’objectif se rapproche. Nous passons en trombe sur St-Dizier.
« Pilote à Chef largueur, Check-list H-20 minutes »
En soute, on se réveille. Le chef largueur inspecte une première fois ses hommes et rend compte :
« Pilote de chef largueur, première inspection terminée, 27 paras équipés de parachutes Machin et de sangles Truc »
Pendant ce temps, devant, il faut poursuivre la navigation tout en évitant les menaces air-air comme sol-air.
Enfin, au loin, se profile le terrain de Chambley.
« Pilote à chef largueur, 30 secondes »
Derrière, le rouge s’allume, la tension monte encore. Je descends assister au largage.
Vert !
« Go, go, go ». A peine le temps de réaliser que tous sont déja dehors.
« Chef largueur à pilote, 27 paras largués, les sangles sont à bord ».
La porte se referme.
Tout de suite, Metz se dessine à quelques kilomètres. Il faut déjà contacter l’approche de Frescaty et se préparer à l’atterrissage.
Arrivée au break, que je n’aurais jamais cru aussi serré et, finalement :
« Cotam 1263, Metz Tower,clear to land runway 19, wind is calm “
Roulage rapide vers le parking. Prise en compte par le Marshaller (Agent de piste chargé de guider les avions pour le parking) et une belle marche arrière aux reverses (Dispositif d’inversion de la traction des hélices), la boubou (Véhicule équipage) nous attend. Extinction des moteurs, comme à regret. Déjà…
2 heures 12 de vol au compteur…
Voilà…
Pour être exhaustif, il aurait fallu pouvoir vous faire vivre la tension à bord du cockpit, les échanges avec l’AWACS ou le contrôle, les coups de gueule sur la fréquence et surtout la formidable sensation de puissance que l’on a, à 600 ft/sol et 180 kts sur une machine de 40 tonnes (Et qu’est-ce que ca doit donner en Mud en suivi de terrain full auto à 400 kts / 500 ft…).
Mais il aurait été aussi nécessaire de raconter le retour, le soir même, en vol de nuit à 17'000 pieds, la féerie de lumières sur les régions survolées, ce moutonnement d’or sur une toile noire .Il aurait fallu, ensuite, pouvoir raconter les lumières de Dijon si proche mais si lointaines au moment de virer sur Avord. Et j’aurais dû, enfin, décrire le poser d’assaut de nuit à Orléans et les lampadaires, seuls visibles, qui montent, montent vers vous, perdus au milieu d’un sol uniformément noir.
Mais là, ce serait trop. Ca ne se raconte pas, ça se vit…
@ +
Adrien,
"Airborn tourist"