Ca faisait longtemps que j'attendais l'occasion et j'ai, enfin, réussi à me trouver un créneau... pour aller faire du C-135 !
Rendez-vous était donc pris hier matin au Groupe de Ravitaillement en Vol 00.093 "Bretagne" situé sur la Base Aérienne 125 d'Istres. J'arrive à l'escadron, le temps de me présenter au chef et de passer aux opérations pour découvrir que je vole sur une mission bien sympa à destination de l'Angleterre. Décollage prévu à 0830Z. On briefe donc à 0700Z avec tout l'équipage (Pilote / Copilote / Nav / Opérateur de Ravitaillement en Vol (dit "Boomer") et moi-même). Au sommaire : Quoi ? Où ? Comment ? Avec quoi ?A savoir : Ravitailler des Tornados, sur l'axe AARA 08 au-dessus de la Mer du Nord et en config BDA (Boom to Drogue Adaptor, config "Panier / Perche) sur un KC-135R, le 93-CP (Le décoré "1'000'000 heures CFM-56"). C'est fou ce qu'on trouve toujours des réponses mêmes aux questions métaphysiques... 0730Z, fin du briefing, on va chercher le carburant pilote (sandwichs, chips et beaucoup d'eau) et on marche à l'avion qui nous attend, bichonné par les pistards, juste devant le GRV. Embarquement nettement plus rapide que chez AF, on ferme la porte cargo et les cochers mettent le bestiau en état de vol. Pendant ce temps, je découvre ce qui va constituer une bonne partie de ma journée : l'habitacle du Boomer, la "baignoire".
Heureusement, sur KC-135, c'est un peu plus vaste que sur les C-135FR et la position allongée est confortable.
0815Z : "Istres Sol, Marcotte 430, 6 personnes à bord, demande mise en route pour de la COM (Régime de vol militaire, opposé à la CAG civile)"
- "Marcotte 430, mise en route approuvée, vous roulez pour la piste 15".
APU puis démarrage des réacteurs, le pistard contre-vérifie la rotation des moteurs et l'absence de feux au démarrage puis se débranche de l'avion. On replie, enfin, l'échelle d'accès direct au cockpit, qui faisait un à-pic de 3 mètres devant mon siège et roulage... qui dure un moment vue la taille du terrain d'Istres.
0830Z : "Istres Tour, Marcotte 430, prêt au décollage point d'arrêt 15 pour un départ Nord. On souhaiterait faire un rolling take-off."
- "Marcotte 430, autorisé décollage piste 15, le vent 110, 15 noeuds, rappelez airborne."
Mise en puissance progressive et prise d'axe, les moteurs donnent vite leur pleine charge même si l'on sent bien nos 268'00 livres dans la lenteur de l'accélération. Les annonces claquent à l'avant.
- "90 noeuds, manche tenu"
- "100"
- "Rotation... vario positif, le train sur "Rentré"."
Ca monte péniblement. Devant nous, il reste largement assez de piste pour se reposer, Istres oblige. En quelques instants, nous survolons l'état de Berre. En virage droite, les super-tankers paraissent tout proches et sont tellement immenses qu'il nous font passer popur des petits joueurs. N'empêche que nous, dans 2 heures, on sera en Angleterre. Eux, s'ils sont sortis de la rade, ils auront de la chance...
On quitte Istres Approche et la douce voix de sa contrôleuse pour passer avec Rambert (CDC de Lyon) et remonter la vallée du Rhône vers Saint-Dizier puis Reims. Inutile d'essayer de profiter de la baignoire pour aller admirer la vue, il y'a 8/8 en basse et nous n'allons pas tarder à retraverser une couche médiane. Je reste en cockpit pour apprcier ces instants magiques où le blanc uniforme étalé sur les vitres fait place au bleu aveuglant d'un ciel sans nuages. A 300 kts, le vieux 707 se prend pour un surfeur et son vario asthmatique nous fait profiter plus longtemps des nuages courant à notre rencontre.
Croisière sans histoire, transférés de Rambert à Riesling (CDC Drachenbronn / Trackkenprônn hooop-làà avec l'accent). Le confort a bord est... spartiate. Derrière le cockpit, un cagibi fermant (mal) par un (maigre) rideau sert tout à la fois de stockage pour un peu tout et...de toilettes par un étrange système de tuyau ! Repas sur le pouce, café (Y'a une bouilloire branchée sur l'alim' de bord) et je retourne sur mon jump-seat pour profiter de la radio avec nos amis anglais.
Stéréotype jusqu'au bout du micro, le contrôleur de "London Mil" a un tel accent british qu'on l'imagine avec la "cup of tea" sur le bord de la console... Just for fun, j'ai essayé d'écouter l'ATIS de Mildenhall. J'ai même pas compris qu'il s'agissait d'un aérodrome... D'ailleurs, même l'équipage était en galère...
- "Fwench Air Fowce, foour diro ouane foour, dissen'd flaït lévol ouane éyt diro èn sqouowwk faillev fri tou sev'n" (A lire sans les espaces, en fait...)
- "Euuuuh, Lonnedonne Mille, canne iou sé euguène, for FAF four ouane euhhh, four ziro ouane for, corèqucheunne?"
Enfin, nous voilà sur l'axe qui nous est imparti, à l'altitude désirée et nous commençons à orbiter pendant que le boomer va mettre son "outil de travail" en condition. Descente de la canne et vérification des gouvernes, pusiqu'elle est pilotée sur 3 axes par l'Opérateur de Ravitaillement en Vol (ORV). J'en profite pour essayer la mania de l'animal. C'est très sensible et la perche réagit à la moindre sollicitation. En-dessous de nous, malheureusement, la météo ne s'est pas arrangée et, au lieu de la Mer du nord, fourmillant par ici de stations pétrolières, nous n'avons droit qu'à un informe tapis blanc sans relief.
Enfin, un Tornado est annoncé à l'approche. Il doit nous rassembler à gauche de l'avion (donc sur notre droite, la baignoire regardant vers l'arrière). Effectivement, 2 minutes plus tard, apparaît la silhouette très reconnaissable du Tornado. Facile, c'est principalement une énorme dérive avec un fuselage trapu soudé en-dessous sur lequel sont montées 2 immenses ailes à géométrie variable.
Aux ordres de l'ORV, il passe de sa position d'observation vers celle de "pré-contact", dans l'axe de la perche, en léger retrait de celle-ci. Moment absolument magique où l'on voit glisser silencieusement ces 25 tonnes de métal hurlant, à quelques mètres par seconde seulement de vitesse relative alors que le dispositif file à presque 400 kts de vitesse sol. Toujours en souplesse, il se stabilise à quelques mètres simplement de nous. Sur n'importe quel meeting, on ne pourrait l'approcher d'aussi près, même en statique, et là, au niveau 150, en tendant le bras je jurerais pouvoir le toucher. Les gouvernes frétillent, il se balance doucement, pur sang attendant au pied du point d'eau. Décidemment, je n'ai pas forcément le plus beau bureau du monde, mais aujourd'hui, j'ai quand même une sacrée fenêtre !
Délicatement, il essaie de viser le panier du bout de sa perche. On sent la tension, les gouvernes tressautent et l'avion commence à balader un peu plus qu'il ne devrait. Première tentative ratée. Un bref instant de pause avant de revenir. La troisième tentative sera la bonne. Les pompes remplissent leur office et nous entendons circuler le pétrole dans les conduits. S'alourdissant très vite, le Tornado peine visiblement à tenir sa place et déconnecte soudainement dans une effusion de kéro. Il faut recommencer et, à mesure que le ravitaillement s'avance, une reconnection devient de plus en plus difficile ; l'avion s'alourdissant au rythme du pétrole reçu, l'enveloppe de vol s'en ressent.
Quelques minutes plus tard ( à 500kg/minute de débit, ca vient vite... ), il est temps de déconnecter (volontairement, cette fois-ci...) et, pour le chasseur, de repartir sur une autre mission.
Nous ferons encore 2 ravitaillements avant de remettre le cap sur la France et de nous poser à Istres, après 6 heures de vol.
Merci le GRV. I will be back !
iolf,
Apprenti pompiste
Je vous fait un coup sur les vitres, m'sieur ?