L’aviation civile a payé un lourd tribut au cours de ces trois derniers mois. Au-delà des immenses pertes matérielles et en vies humaines, les accidents en série enregistrés depuis le mois d’août ont également eu une incidence sur le chemin de la recherche de la paix et du développement. Ainsi, avec John Garang mort avec la chute de son hélicoptère le premier août 2005, les timides efforts de paix au Soudan, entamés depuis janvier, ont failli un moment échapper à un pays qui en a bien besoin, et qui a fait l’objet d’une sollicitude internationale soutenue avec la situation au Darfour.
Certains ont posé le problème de cette furie du ciel sous la terrible loi des séries, avec les catastrophes naturelles enregistrées durant cet été meurtrier de 2005, avec les tempêtes, incendies et inondations, aussi bien en Est (Asie) qu’en Ouest (Amérique et Amérique latine), les tremblements de terre, comme celui du 8 octobre dont le Pakistan se relèvera difficilement. D’autres ont accusé une libéralisation du ciel qui a donné naissance à une nouvelle race de managers peu regardants dans la gestion des hommes et du matériel navigant ; d’autres, enfin, évoquent les conséquences du 11 septembre 2001 qui auraient entraîné une formation insatisfaisante dont tout le monde se serait contenté.
Pour mémoire, il faut rappeler l’accident du bœing d’Air France à Toronto, au Canada, le 2 août, qui a fini sa course dans une fosse avant de prendre feu mais, heureusement, sans faire de victimes, le crash de l’Atr d’Air Tunisie du 3 août en Sicile (121 morts), l’accident de l’appareil chypriote du 14 août, la chute de l’appareil indonésien du 5 septembre (142 victimes) et en République démocratique du Congo, enfin, beaucoup plus près de nous, celui de la compagnie Bellview au Nigeria, le 22 octobre dernier, qui a fait 117 victimes dont Cheikh Oumar Diarra de la Cedeao.
Face à ces catastrophes et avec la privatisation du ciel, l’Afrique doit avoir une vision de développement puisqu’elle n’est plus dans la cour des grands et qu’elle fait l’objet de quolibets et de propos désobligeants : quand il y a accident en effet et en fonction de la compagnie impliquée, les commentaires renvoient souvent aux traditionnels rapports Nord-Sud qui veulent qu’un accident en Occident soit imputable plus à une erreur et, dans le cas du Tiers-Monde, qu’il traduise l’absence de normes dans laquelle se complaisent les pays en voie de développement (Pvd).
Le Tiers-Monde qui n’est pas en course assimile aussi bien l’Afrique que les autres pays où les compagnies utilisent souvent de vieux coucous «casse cou» comme on le voit souvent en République démocratique du Congo. Or, il en est de la flotte aérienne comme les voitures : il faut voir à ce sujet les problèmes de mobilité urbaine qui se posent dans les villes africaines, et qui sont plus le fait de vieilles voitures que de véhicules neufs.
L’Afrique n’est plus dans la course avec des micro-compagnies aériennes pour de mini-Etats. Il faut donc un retour aux grands ensembles et être plus rigoureux, aussi bien dans la gestion de la flotte que des hommes. Au demeurant, l’Union européenne et l’Union africaine prouvent bien la nécessité de retourner aux grands ensembles, sur le plan économique, surtout pour le Tiers-Monde qui doit faire plus que les autres pour être au même niveau. Par exemple, Air Afrique ne se contentait pas seulement d’acquérir des avions dernier cri, elle faisait plus. Ainsi, lorsque l’Union des transporteurs aériens (UTA) s’équipait en DC 3-62, Air Afrique prenait, elle, des Dc 3-63 pour bénéficier d’un rayon d’action plus grand. En aéronautique et en aviation, les compagnies cherchent toujours à maximiser les coûts ; ainsi, à un avion à un seul atterrissage, on imposera plusieurs atterrissages.
Une vision de développement et non de sous-développement s’intéressera ainsi à la formation, à la flotte et veillera à sortir du piège dans lequel les Occidentaux veulent enfermer les autres en leur exigeant des normes beaucoup plus élevées que la normale, principalement pour les Africains ; ceci explique d’ailleurs le faible taux des catastrophes aériennes sur le continent.
La dislocation d’Air Afrique est imputable à la compétition entre les Etats ; les différentes faillites des compagnies nationales doivent donc nous ramener à une vision de développement beaucoup plus responsable. Avec un chiffon, on veut avoir du bazin riche. Ceci traduit certes un état de dénuement mais également un niveau ou une capacité d’imagination.
Cheikh FALL - Ancien Président-directeur général d’Air Afrique