Comme tous les soirs, je quitte le boulot en passant sur cette passerelle qui surplombe le hangar. 4 magnifiques avions y sont entreposés, et comme tous les soirs je découvre ce beau bébé vu de derrière. Sa tuyère grande ouverte saute aux yeux et nous laisse découvrir sa « taille de guêpe » lui permettant le supersonique, les deux bidons de voilure rajoutent à son air guerrier, même après plus de 1000 jours à passer dans ce hangar, je ne m’en lasse pas, j'aime les regarder. Et pourtant, c’est la dernière fois que je peux leur dire « à demain ». Demain je fais mon dernier vol, après 3 ans à leur côté, et ce ne sera pas sans émotion…
Comment oublier ses premiers pas sur un vrai chasseur, son premier passage du mur du son, ses séances de 11 tours de piste en 15 minutes. Et comment surtout oublier cette sensation d’avoir la poussée qui s’installe après avoir « cranté » la manette dans le secteur post-combustion, cette jouissance de sentir presque un à un les anneaux brûleurs s’embraser pour nous offrir cette accélération jusqu’à nos 450kt habituels…
Comment oublier ses premiers ravitaillement en vol, le sésame du chasseur vers les vols de plusieurs heures. Toutes ces missions à se battre avec la météo en basse altitude, à voir le timing défiler et finalement commencer à nous faire douter sur notre capacité à rejoindre le ravito à l’heure. Puis, au dessus, un trou, il ne faut pas le louper. Un appel à la TMA traversée, une émission sur l’autre poste radio pour prévenir le tanker de notre arrivée avec juste 1 minute de retard, une interception de notre citerne volante à ne pas louper pour pouvoir prendre tout le pétrole prévu, puis derrière ce panier, le cœur à 100 à l’heure alors qu’il faudrait être calme comme jamais. Ces respirations qui s’accélèrent en sentant le flux d’air que déplace le tanker autour de son petit chasseur, puis le contact, sorte de libération une fois effectué mais en même temps d’enchaînement car désormais condamné à faire corps avec le tanker jusqu’à avoir pris la cargaison voulue.
Comment oublier ces vols en suivi de terrain, de nuit, IMC, sous la pluie, à reprendre le vol en manuel à 520kt et 300ft, concentré comme jamais sur son scope radar, guettant la moindre variation de trajectoire anormale, ne pensant à rien sauf à son vol et à la communication avec son navigateur.
Et comment ne pas penser à ces couchers de Soleil, à toutes ces étoiles filantes en vol de nuit, rentrant en haute altitude depuis l’autre bout de la France au FL420. Voir les lumières de villes de Narbonne à Bordeaux, découvrir toutes les agglomérations du Bayonne à Perpignan et s’amuser à deviner desquelles il s’agit. Ces instants en patrouille serrée de nuit, découvrant la silhouette du leader ou du numéro 2 à chaque éclat du feu anticol, ces moments ou, en splitant la patrouille on découvre la PC de l’autre appareil comme un immense chalumeau. Je me souviendrai de mes petits défis « voir le Mont Blanc du plus loin possible », où parfois sa majesté se dévoilait alors que nous étions encore verticale Bergerac ou même entre Tours et Avord.
C’est simple, je ne pourrais pas oublier, et même si ces tas de ferraille ne sont pas vivants, je m’y suis attaché, et je ne les remercierai jamais assez de m’avoir porté – et supporté -
Demain une page se tourne, et c’était sans aucune hésitation la plus belle…